Page:Gavarni - Grandville - Le Diable à Paris, tome 2.djvu/110

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

D’autres fois, sans être doué d’une prévoyance à aussi longue échéance, le père de famille ne perd pas de vue l’utile, et il annonce solennellement à son fils que, pour ses étrennes, il lui fait cadeau d’un pantalon neuf. — L’enfant, qui n’en avait plus que des vieux, est médiocrement émerveillé et se dit que, sans les étrennes, il aurait montré à tous les passants ce que la Baigneuse de M. Courbet a tant montré naguère, si l’on s’en souvient.


La comédie de société. — Paris est possédé d’une maladie intermittente qu’on appelle la comédie de société. Dans les salons, vous ne rencontrez que des paravents, et quelquefois un petit théâtre qu’un amateur se plaît à monter et à démonter chez toutes les personnes qui veulent bien l’honorer de leur confiance.

Les hommes et les femmes du monde prennent un singulier plaisir à ces jeux, il faudrait dire à ces joujoux de la scène. On retrouve en miniature, dans les coulisses de la comédie de société, toutes les intrigues et toutes les vanités des théâtres subventionnés. — Les rôles jeunes sont recherchés par les femmes mûres ; — les rôles marqués seraient répudiés par tout le monde si les jeunes gens ne s’en chargeaient volontiers. — On se farcit la mémoire des pièces que l’on a vu représenter cent fois aux Français ou au Gymnase ; — on collationne, on répète, on essaye des costumes, et on occupe ainsi la vie oisive, si difficile à dépenser quand on a un hôtel, des chevaux et pas d’emploi sérieux dans le monde. — Vient le grand jour de la représentation, jour de triomphe et d’embarras ; il faut y songer et pourvoir à tout : — deux chaises ici, une table là ; une tapisserie pour la vicomtesse, qui travaille au lever du rideau. — N’oubliez pas le journal ; car Saint-Val entre en scène un journal à la main. — Dans l’après-midi, au moment où la maîtresse de la maison succombe sous les ennuis de ces mille détails, la représentation devient problématique : un jeune auditeur au conseil d’État écrit qu’il est grippé. On n’a plus d’amoureux ! comment faire ? — Le frère de madame se chargera du rôle ; c’est un chef d’escadron ; il a cinquante ans et du ventre ; mais qu’importe ! Firmin jouait bien les amoureux à soixante ans. — On dîne, comme les comédiens, à quatre heures ; on repasse son rôle ; — on s’habille, on se déshabille, on s’habille encore. — À neuf heures, on est en présence d’un public moqueur par nature, enthousiaste par convenance. — On frappe trois coups dans la main ; — le rideau se