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avant l’arrivée des invités considérables. — Ils représentent assez bien les claqueurs qu’on fait entrer avant le public dans les salles de spectacle, au jour des représentations solennelles : — comme les claqueurs, en effet, — mais avec plus de désintéressement et de sincérité, — ces bons bourgeois admirent tout. Il y a si loin de ce luxe, même factice et éphémère, à leur intérieur en acajou plaqué. — On jouit de leur surprise et on leur fait volontiers les honneurs du salon jusqu’au moment où on annonce une comtesse ou un baron. Alors le rideau se lève ; la maîtresse de la maison met son sourire, et la représentation commence…

Vers les trois heures du matin, les observateurs peuvent entendre dans le vestiaire, où on reprend tout ce qu’on peut trouver de manteaux et de burnous, des dialogues qui n’encouragent pas à l’hospitalité.

« Eh ! dites donc, Ferdinand… vous partez ?

— Je crois bien, — assez fâché d’être venu ; — quelle cohue ! — Et ce monsieur qui chante ! — C’est donc l’âme de Collignon qui vient tourmenter les bourgeois ?

— Le fait est que je n’ai rien vu de plus mal entendu ! — je n’ai pas pu attraper un verre d’orgeat pour ma femme.

— Moi de même… et cependant c’est inconcevable, car on a fait circuler beaucoup de rafraîchissements.

— Oui… mais la maîtresse de la maison buvait tout. — Sans cela, du reste, il y a bien longtemps qu’elle serait étouffée.

— Et puis qu’est-ce que tout ce monde ?… Le bric-à-brac de la chaussée d’Antin et du faubourg Saint-Germain… des comtesses qu’on nous donne pour du neuf et dont les fissures sont mal dissimulées par des repeints. — Des banquiers épais comme des marchands de chevaux et de petits crétins de jeunes gens qui racontent, depuis onze heures du soir (et il est trois heures du matin), qu’ils ont failli souper avec Orloff. Notre Amphitryone est bonne femme, mais elle ne soupçonne même pas ce grand art de composer une société. — Est-ce que je peux danser avec des femmes qui me prient de leur raconter le Médecin des enfants ? Est-ce que je peux causer avec des hommes qui demandent encore des détails sur la prise de Sébastopol, etc. »

Les deux interlocuteurs allument un cigare et sortent.

C’est maintenant le tour de deux femmes qui cherchent leur pelisse dans un océan de vêtements mêlés et confondus.