Page:Gavarni - Grandville - Le Diable à Paris, tome 2.djvu/129

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— Te rappelles-tu avec quelle ostentation il parlait toujours de son attelage gris pommelé ?

— Allons… voyons…, messieurs, c’était un bon garçon…

— Sans doute… mais que veux-tu qu’on y fasse ?… Tu n’as donc pas entendu ?… on lui offre une place, et il refuse…

— Ah ! je voudrais bien vous y voir, avec une place de douze cents francs…

— Mais nous… nous…, mon cher… c’est différent…

— Moi ! si je perdais ma fortune, je gratterais plutôt la terre que de demander un sou à personne…

— Oh ! et moi donc ! — Je travaillerais… j’irais en Californie… Mais je ne resterais pas à Paris… comme ça… à carotter tout le monde.

— Voulez-vous que je vous dise le malheur de Gaston ? C’est l’orgueil… Il accepterait bien une place à l’étranger… Mais ici, à Paris, où il est connu de nous tous, il rougirait d’occuper un petit emploi.

— Oui… c’est cela ; — c’est comme d’Estigny… vous savez… d’Estigny, qui, après avoir tout mangé, est maintenant employé à la Ville. J’ai eu affaire à lui dernièrement en allant dans les bureaux pour mon expropriation, et il a attrapé un coup de soleil !… J’ai été bon enfant… je lui ai donné la main ; mais il est resté contraint et embarrassé.

— Ah ! dame, c’est embêtant. — Mais, aussi, pourquoi veulent-ils paraître ce qu’ils ne sont pas !… Quant à Gaston, je dis que nous ne devons pas l’abandonner… Il faut le voir et le raisonner ; mais, s’il persiste à refuser la place qu’on lui offre… bonsoir ! »

C’est ainsi qu’en allant au bois au pas de son cheval, on enterre l’ami qui s’est laissé choir dans la fosse aux lions.

Quant à ces victimes des prodigalités parisiennes, il est impossible d’en retrouver la trace, dès qu’ils ont une fois disparu de l’horizon des Champs-Elysées et des avant-scènes. — L’homme ruiné dans la spéculation se remet à l’œuvre, accepte les emplois les plus modestes. — Mais, dans cette ruche bourdonnante où, depuis le chef de l’État jusqu’au plus humble ouvrier, la loi de l’existence est le travail, le dandy seul, quelles que soient sa condition et sa fortune, ne travaille jamais, — du moins d’un travail régulier et suivi. — Les loisirs de la vie dissipée ont brisé en lui ce grand ressort. — Il va à l’aventure, s’immisce dans les