Page:Gavarni - Grandville - Le Diable à Paris, tome 2.djvu/135

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

On se trouve là, comprenez-vous, aussi bien après dix mois de mariage qu’après dix ans : c’est selon la marche du vaisseau, selon sa voilure, selon la mousson, la force des courants, et surtout selon la composition de l’équipage. Eh bien, il y a cet avantage que les marins n’ont qu’une manière de prendre le point, tandis que les maris en ont mille de trouver le leur.

Exemple : Caroline, votre ex-biche, voire ex-trésor, devenue tout bonnement votre femme, s’appuie beaucoup trop sur votre bras en traversant le boulevard, ou trouve beaucoup plus distingué de ne plus vous donner le bras ;

Ou elle voit des hommes plus ou moins jeunes, plus ou moins bien mis, quand autrefois elle ne voyait personne, même quand le boulevard était noir de chapeaux et battu par plus de bottes que de bottines ;

Ou, quand vous rentrez, elle dit : « Ce n’est rien, c’est Monsieur ! » au lieu de : « Ah ! c’est Adolphe ! » qu’elle disait avec un geste, un regard, un accent, qui faisaient penser à ceux qui l’admiraient : Enfin, en voilà une heureuse !

Cette exclamation d’une femme qui implique deux temps : celui pendant lequel elle est sincère, celui pendant lequel elle est hypocrite avec : « Ah ! c’est Adolphe ! » Quand elle dit : « Ce n’est rien, c’est Monsieur ! » elle ne daigne plus jouer la comédie ;

Ou, si vous revenez un peu tard (onze heures, minuit), elle… ronfle !  ! odieux indice !…

Ou elle met ses bas devant vous… (ceci n’arrive qu’une seule fois dans la vie conjugale d’une lady ; le lendemain elle part pour le continent avec un captain quelconque, et ne pense plus à mettre ses bas) ;

Ou… Mais, restons-en là.

Ceci s’adresse à des marins ou maris familiarisés avec la connaissance des temps.

Eh bien, sous cette ligne voisine d’un signe tropical sur le nom duquel le bon goût interdit de faire une plaisanterie vulgaire et indigne de ce spirituel ouvrage, il se déclare une horrible petite misère ingénieusement appelée le taon conjugal, de tous les cousins, moustiques, taracanes, puces et scorpions, le plus impatientant, en ce qu’aucune moustiquaire n’a pu être inventée pour s’en préserver. Le taon ne pique pas sur-le-champ, il commence à tintinnuler à vos oreilles, et vous ne savez pas encore ce que c’est.