Page:Gavarni - Grandville - Le Diable à Paris, tome 4.djvu/11

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les cosaques de Tchitchakoff ; aussi on l’a vu rentrer à Paris, malgré son grand âge, en parfaite santé. Aujourd’hui, avec notre confortable de rues et de maisons, notre Paris perfectionné, notre pâte Regnault, nos passages couverts, nos vingt théâtres, nos bals, nos amusements infinis, on peut se coiffer à sa guise et laisser vivre les Italiens au delà des monts ; mais n’oublions point qu’il a fallu attendre quatorze siècles pour obtenir ce beau résultat.

La faute originelle de Pharamond a exercé aussi une singulière influence sur notre littérature. Aucun Rollin, aucun Le Batteux, aucun Romairon, n’ont envisagé cette question à son point de vue le plus important. Pharamond nous a procuré longtemps une poésie qui avait exilé de son sein tout ce qu’il y a de beau et de charmant au monde, le soleil, l’Océan, les étoiles, la lune, les fleurs. On frémit de douleur en songeant que Corneille et Racine, logés dans une mansarde des rues de la Huchette et de Saint-Pierre-aux-Bœufs, n’ont connu les astres du ciel et les grâces de la nature que de réputation et sur la foi des auteurs grecs-latins. Ces infortunés poëtes avaient appris, dans leur enfance, que Phœbus conduisait le char du Soleil ; que Diane s’habillait en lune pour regarder dormir Endymion ; que Jupiter lançait des carreaux sur les vitres en été ; que le tendre Zéphyre jouait avec les brillantes filles de Flore sur les rives du Sperchius. Aussi Corneille n’a parlé qu’une seule fois des étoiles dans le Cid ; et encore le vers est traduit de Romancero. Racine n’a cité qu’une seule fois le soleil dans son mot propre, mais il a traduit l’Hélios du poëte grec. Les astres du ciel et les fleurs de la terre ont été découverts en Amérique par M. de Chateaubriand, qui parvint à les naturaliser à Paris, malgré la vive et longue opposition de Morellet, de l’abbé Féletz et d’Hoffman, morts dans le sein de Diane et d’Apollon.

Et le public du grand siècle, ô Pharamond ! ne pourra jamais être pardonné. C’est lui qui a fait siffler le Cid, Athalie et le Misanthrope. Aurait-on pensé cela de Pharamond ? C’est pourtant la vérité pure. Nous, public de 1844, public libre et bien vêtu, marchant sur des trottoirs d’onyx, assis, au théâtre, sur des coussins de velours embaumé par les fleurs des loges, éclairés par un firmament de gaz, nous ne pouvons imaginer les misères du public du grand siècle et refaire pour cette époque la carte de Paris. Figurez-vous donc, avec un violent effort d’imagination, cette ville inhabitable, moins sûre, disait Boileau, que le