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POST-FACE DE CETTE ÉDITION

On a écrit des milliers d’ouvrages sur Paris et les Parisiens, et c’est tout au plus si, dans le nombre, quelques-uns sont restés qu’on puisse encore lire avec un peu d’intérêt. De tous ceux qui ont paru et disparu depuis le Tableau de Mercier, un seul avait gardé sa valeur : le Diable à Paris, mais, ainsi que les Animaux peints par eux-mêmes que nous venons de remettre en lumière, des circonstances indépendantes de la volonté de l’éditeur avaient depuis vingt ans rendu impossible que ce livre célèbre fût réimprimé dans son complet.

C’est cette œuvre, devenue une vraie rareté bibliographique, que nous offrons aux Parisiens, non-seulement dans son entier, en ce qui concerne les illustrations, mais augmenté, mais enrichi et renouvelé dans des proportions si considérables, avec une telle prodigalité de textes et de dessins qui n’avaient pas fait partie des éditions primitives, que l’importance et le mérite de cette publication en sont doublés et triplés, alors cependant que son prix matériel, eu égard à tout ce qu’elle contient, est diminué de plus des trois quarts.

Paris n’a pas été bâti en un jour, a dit le proverbe ; nous ajouterons qu’il ne peut être donné à personne non plus de le peindre en un jour. C’est l’affaire du temps, c’est l’œuvre de plusieurs générations que d’exprimer dans sa diversité la physionomie vraie d’un monstre pareil, de fixer sur le papier, non son attitude d’un instant, non l’accident transitoire d’une de ses transformations éphémères, mais son caractère permanent, que de montrer ce qu’il fut — depuis qu’il est.

Un bon tableau de Paris ne s’improvisera donc jamais. Nul ne saurait décrire sur commande cet être fuyant, à la fois si multiple et si concentré qu’en lui se résument les traits épars de la France tout entière. L’histoire d’une grande ville comme Paris ne peut donc être que le résultat inconscient d’une sorte d’action commune ; elle ne saurait se composer qu’à la façon de ces terrains d’alluvions, résultat d’agrégations insensibles, travail des ans, qui apparaissent un beau jour comme des créations spontanées. Il faut que chacun apporte à cette création mystérieuse qui sa pierre, qui son monument. Il faut que tout entre dans la composition de cette œuvre, que toutes les formes y soient représentées, que le crayon y dise ce que la plume ne peut peindre, que la plume y décrive ce qui laisse le crayon impuissant. Types, personnages, portraits, tableaux de genre, pris à la vie intime aussi bien qu’à la vie publique, dans la rue et dans la maison ; vues matérielles du Paris ancien et du Paris moderne ; voilà la part du crayon. Histoire, anecdotes, saillies, bons mots, physiologies, pensées, maximes, réflexions, études critiques, pages descriptives, contes, nouvelles, dialogues, exprimant chacun à sa façon ce qu’on peut appeler « l’esprit de Paris ; » voilà la tache de la plume. Or des choses qui passent, on peut garder l’image ; mais de l’esprit, qui seul est permanent, ce qu’il faut garder c’est lui-même : c’est cet esprit qui reste, que notre livre s’est efforcé de fixer.

Cette double tâche, ce n’est certes pas trop pour la remplir que l’accumulation des matériaux laissés par le passé, que la réunion de tout ce qu’on a dit dans tous les temps et dans tous les pays sur le sujet, complété par ce que peut dire à son tour de lui-même cette portion du temps présent qui a chance de durée.

Eh bien, c’est précisément ce Paris écrit par tous et à toutes les époques, par les esprits de tout ordre et de tout genre, que notre édition nouvelle du Diable à Paris a eu pour but de mettre sous les yeux de nos lecteurs, sans affecter d’autre méthode, là où toute méthode serait d’ailleurs impossible, que l’agrément, la variété et la multiplicité du contraste dans la vérité.

Nous n’avons pas voulu, réimprimant une œuvre capitale ayant qualité déjà par sa base, en conserver les parties inutiles, quand le passé et le présent avec leurs dates, avec les signatures les plus illustres et les plus imprévues, pouvaient nous fournir en abondance les éléments dignes de la parfaire et de l’achever.

Se borner à photographier l’actualité si souvent éphémère pour remplir les lacunes, c’eût été boucher des trous avec du plâtre et non combler sérieusement les vides faits par le temps dans l’œuvre primitive. Le Paris qui passe au bout de notre nez est un Paris qui demain n’intéresserait personne. Où est le nuage qui fuit ? où sont les modes d’hier ? où sont les crinolines dont on a tant parlé ? Cependant les femmes charmantes qui semblaient s’être perdues pour toujours dans leurs bouffants contours sont encore, je le suppose, dans leur fourreau étranglé d’aujourd’hui, les mêmes aimables Parisiennes qui font la gloire de Paris et l’envie des autres nations.

Notre livre démontre, à la grande surprise des gens qui croient tout nouveau, que si l’apparence de Paris semble mobile, il n’y a évidemment rien de moins mobile au fond que ses mœurs, et qu’à bien peu de choses près, nous sommes aujourd’hui, messieurs et mesdames, ce qu’étaient autrefois nos grands-pères et nos grand’mères.

Sous ce titre : « Ce qu’on a dit de Paris et de ses habitants, dans tous les temps et dans tous les pays, » nous avons réuni à grands frais de recherches patientes et de lectures attentives, comme annexe naturelle, comme complément au texte des éditions primitives du Diable à Paris, ce qui a été dit de plus vrai et de plus piquant à toutes les époques, sur Paris, par les écrivains