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LES VEUVES DU DIABLE

En les voyant passer belles et fringantes, ne vous êtes-vous jamais demandé où elles vont et ce qu’elles deviendront un jour ?

Ce sont de charmantes femmes qui ne tiennent à la société que par des liens de fleurs. Laissant à d’autres les positions régulières, la félicité domestique, les vertus paisibles et les vices cachés, elles vivent sur l’aile du hasard, sans frein, sans mesure, montrant avec une égale franchise ce qu’elles ont de bien et ce qu’elles font de mal. Leur mission est toute de joie et d’inépuisable tendresse ; leur évangile enseigne l’amour du prochain, amour immodéré qu’elles pratiquent avec une dévotion sincère et ardente : — ce sont des sœurs de charité qui se consacrent à la consolation des riches et au soulagement des heureux.

Tant qu’elles restent jeunes, la vie leur est facile et riante. Elles n’ont qu’à se laisser aller au souffle de la fantaisie, au flot du plaisir, au doux murmure qui les invite et les caresse. Le souci du lendemain ne vient jamais troubler la sérénité de leur esprit. Elles marchent radieuses et légères, jetant au hasard leur regard, leur sourire, leur hameçon. Chaque jour leur amène de nouvelles fêtes et une fortune nouvelle. Chaque page de leur roman est un nouveau chapitre dominé par un personnage imprévu. Le héros d’hier disparaîtra ce soir et sera remplacé demain. Et dans ces mille révolutions, elles demeurent invariablement fidèles à l’amour, au plaisir, au luxe, à la mode, à toutes les vanités qui remplissent et gouvernent la tête et le cœur d’une femme.

Mais tout passe et tout finit en ce monde ; Un beau jour, la jeunesse fait mine de s’en aller ; elle annonce sa retraite par un de ces riens foudroyants qui sèment la désolation sur leur passage : — un cheveu blanc, — une ride, — la piqûre du ver sur la fleur épanouie. À peine a-t-elle dit adieu, qu’elle est déjà bien loin, emportant dans sa fuite les grâces et les attraits qui formaient son bagage.

Et alors, quand la jeunesse et la beauté sont passées, quand les amours et la fortune s’envolent, que deviennent ces femmes qui exploitaient si richement l’art de plaire, et qui dépensaient en même temps les revenus et le capital ?…

Deux messieurs d’un certain âge, cinquante à soixante ans, étaient