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chambre du roi. Les princes eux-mêmes en gardent la porte ; et ce que vous aurez peine à croire, c’est qu’ils viennent d’en défendre l’entrée à la duchesse de Châteauroux.

RICHELIEU et D’AGÉNOIS. À madame de Châteauroux ?…

DUVERNEY, montrant la Duchesse, qui arrive pâle, égarée. Tenez. Voyez si j’ai dit vrai !…





Scène XII.


LES MÊMES, LA DUCHESSE DE CHÂTEAUROUX, LA DUCHESSE DE LAURAGUAIS.


LA DUCHESSE, dans le plus grand trouble. M’empêcher de le voir !… quand il souffre… quand mes soins pourraient le sauver !… les cruels !…

RICHELIEU. Pardonnez-leur ; cet affreux événement a bouleversé toutes les têtes. Les médecins ont ordonné le plus grand calme ! sans doute les princes ont pensé que votre présence !… L’aspect de cette inquiétude que vous ne pouvez dissimuler…

LA DUCHESSE. Ah ! ne leur cherchez point d’excuse… si vous aviez vu leur maligne joie percer à travers l’air inquiet qu’ils voulaient affecter ; si vous les aviez entendus de leur voix sèche et hautaine me répéter cet ordre, que n’a point donné le docteur Vernage ; car je le connais, il n’aurait pas l’idée de m’éloigner du roi, quand sa vie est en danger ; mais, mon Dieu, pour me traiter aussi indignement, pour me chasser ainsi, ils le croient donc à la mort… Oh ! voilà la pensée qui me tue !…

LA DUCHESSE DE LAURAGUAIS. Rassurez-vous.

LA DUCHESSE. Me rassurer, quand j’ai vu ma sœur succomber au poison !…

RICHELIEU. Ah ! gardez-vous d’un soupçon pareil ; aucun symptôme ne le confirme. Les médecins m’ont répondu à ce sujet de la manière la plus positive. Le roi est dans un état fort alarmant, m’ont-ils dit, mais on n’en peut accuser personne.

LA DUCHESSE, dans l’égarement du désespoir. N’importe, je veux le voir !… il le faut, je le dois, il souffre ; dans ses souffrances il m’appellerait, je ne serais pas près de lui ? Oh ! c’est impossible, il faut que je le voie. Je l’entends… il m’appelle !…

DUVERNEY. Ô ciel ! ne vous montrez pas à lui dans cet état de désespoir ; ce serait lui porter le coup mortel.

LA DUCHESSE. Mais vous ne savez donc pas que ces princes me haïssent ; qu’ils vont abuser de son délire pour lui faire croire que je le trahis, que je l’abandonne !… pour lui arracher un consentement, pour lui dicter mon arrêt, qu’ils ont eu l’infamie d’exécuter d’avance !

RICHELIEU. Non, la main du roi se refuserait à le signer lors même que son égarement le livrerait à eux. Et puis ils craindraient son retour à la raison.

LA DUCHESSE. Ils ne craindront rien, vous dis-je… Eh bien, j’imiterai leur audace, nous verrons s’ils oseront employer la force pour m’empêcher d’arriver jusqu’à lui.

Elle se précipite vers la porte.





Scène XIII.


LES MÊMES, MAUREPAS, suivi de plusieurs SEIGNEURS DE LA COUR.


MAUREPAS. Arrêtez, madame, et plaignez-moi d’être chargé de vous remettre cet ordre de la part du roi.

TOUS. Du roi.

Il lui présente un papier avec le sceau du Roi.

LA DUCHESSE, jetant les yeux sur le papier. Signé Louis !… Il l’a signé… (Elle pleure et cache sa tête dans ses mains ; la lettre tombe, Richelieu la prend et lit : ) « Ordre à la duchesse de Châteauroux de quitter Metz dans une heure. »

D’AGÉNOIS, vivement, à Maurepas. Cet ordre est nul, le roi a le délire, on a abusé de son état pour lui arracher cette signature.

MAUREPAS, à d’Agénois. C’est aux princes, aux ministres, témoins de la signature de cet ordre, à vous répondre, monsieur ; moi je n’en suis que porteur.

RICHELIEU, avec mépris. C’est encore assez courageux. Mais ne craignez-vous pas, monsieur, que le roi, revenu à la santé, ne punisse l’exécuteur d’un ordre semblable ?

MAUREPAS. J’obéis, monsieur le duc, et je ne raisonne pas.

RICHELIEU. Eh bien, si personne n’ose éclairer les princes et les ministres sur l’indigne action qu’ils commettent aujourd’hui, j’en aurai le courage.

LA DUCHESSE, fièrement. Non. C’est à moi de subir leur injuste haine. Ma résistance à cet ordre cruel, ils en puniraient peut-être celui que la maladie met en leur puissance ; qu’il vive ! Ô mon Dieu ! que mes ennemis l’arrachent au danger qui le menace, et je leur pardonne. J’obéis ! je consens à tout, je suis prête à partir.

Mme DE LAURAGUAIS, à la Duchesse. Je ne vous quitte pas.