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de parler et d’entendre ; et nous eussions perdu le souvenir même avec la parole, s’il était aussi facile à l’homme d’oublier que de se taire. » Tacite se représente ensuite au sortir du règne de Domitien comme échappé aux chaînes et à la mort, survivant aux autres et pour ainsi dire à lui-même, privé de quinze ans de sa vie qui se sont écoulés dans l’inaction et le silence. Il félicite Agricola de sa mort parce qu’Agricola n’a point vu les derniers crimes du tyran ; il n’a point vu ces temps où Domitien, las de verser le sang goutte à goutte, frappa, pour ainsi dire, la république de Rome d’un seul coup, lorsque le sénat se vit entouré d’assassins, quand le tyran lui-même, spectateur des meurtres qu’il ordonnait, jouissait de la pâleur des mourants, et calculait au milieu des bourreaux les soupirs et les plaintes.

C’est surtout en lisant l’histoire des empereurs de Rome qu’on est frappé de cette réflexion de Voltaire, « qu’il y a des côtés par où la nature humaine a l’aspect de la nature infernale. » Les Chrétiens étaient appelés à manifester ce qu’il y a de divin dans l’homme.

Le monde va respirer un moment. Nerva, qui succède à Domitien, rappelle les exilés, et arrête la persécution contre les Chrétiens. Son règne ne dure qu’un an. Mais cette trève si courte fut utile à l’Église, qui s’en servit pour établir et étendre la discipline ; et le retour de saint Jean ranima la ferveur de toutes les Églises d’Asie.

Nous entrons dans une ère nouvelle. Le premier siècle de l’Église a été le siècle de l’apostolat, et il a fini avec Jean qui est mort la centième année de notre Seigneur. Le second siècle peut être appelé plus particulièrement le siècle des martyrs et des apologistes. Les persécutions, pendant le premier siècle, étaient plutôt politiques que religieuses. Le pouvoir s’inquiétait alors de la formation d’une société nouvelle dont le dieu n’avait pas été adopté par le sénat ; dans le second siècle, le paganisme comprit qu’il y allait de son existence, et les prêtres de l’idolâtrie s’unirent au pouvoir pour arrêter par les supplices les progrès du Christianisme.