Page:Germain - Œuvres philosophiques, 1896.djvu/352

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appelle faiseurs d’affaires ; je fais profession publique de regarder l’agiotage comme un crime d’État ». Voilà un beau langage, plein de bonhomie, de franche allure plébéienne. La jeune Sophie, à peine âgée de quatorze ans, entendait dans la maison paternelle les discussions qui occupaient tous les esprits, et prédisait la durée et la véritable portée d’un mouvement que beaucoup considéraient comme une tourmente passagère. Enfermée dans la bibliothèque de son père, un jour où elle fuyait la foule qui grondait dans la rue, elle lit l’histoire de la mort d’Archimède. Elle se passionne aussitôt pour cette science géométrique, si attrayante que les menaces les plus terribles ne peuvent en détacher, et elle prend, sur l’heure, la résolution héroïque de s’y adonner complètement.

« La voilà seule, sans maître, sans autre guide qu’un « Bezout », qui, jour et nuit, travaille les mathématiques. Sa famille s’effraie d’un labeur qui peut compromettre sa santé. On lui retire ses livres, le feu, les vêtements, la lumière, pour l’obliger à se reposer ; elle se relève la nuit et, par un froid tel que l’encre gèle dans son écritoire, elle se remet à ses chères études. Ses parents cédèrent devant cette résistance invincible, dont le génie seul est capable, et la laissèrent désormais disposer de son temps à son gré.

« Une telle vocation explique ses progrès invraisemblables : elle comprend le calcul différentiel, mais elle ne peut lire les ouvrages latins d’Euler et de Newton,