Page:Germaine de Stael - Lettres et pensées du maréchal prince de Ligne, Paschoud, 1809.djvu/100

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causer avec sa voisine. Quelle comparaison aussi entre l’insolence, l’avarice et la saleté des nations de l’Europe, et la bonhomie et la propreté de celle-ci ! rien ne s’y ait sans être précédé et suivi de libations. La libation dont les barbiers de cheveux régalent leurs patiens est un peu extraordinaire : ils prennent une tête entre leurs genoux, et font couler sur cette tête une de leurs fontaines.

Je n’ai aperçu qu’une seule femme : c’est une Princesse du sang, la nièce du dernier sultan Saym Gheray. L’Impératrice, devant qui elle se dévoila, m’a fait cacher derrière un écran : elle étoit belle comme le jour, et avoit plus de diamans que toutes nos femmes de Vienne ensemble, et c’est beaucoup dire. Je n’ai vu, du reste, en fait de visages, que ceux d’un bataillon d’Albanoises d’une petite colonie macédonienne établie à Balaclava : 200 jolies femmes ou filles, avec des fusils, des baïonnettes et des lances, avec des seins d’amazone, et des cheveux longs et tressés avec grâce, étoient venues à notre rencontre pour nous faire honneur, mais point par curiosité. Il n’y a point de badauds dans ce pays-ci : la badauderie appartient, ainsi que l’impertinence et la flatterie, à la civilisation. On n’a ni couru après nous, ni fui notre présence ;