Page:Germaine de Stael - Lettres et pensées du maréchal prince de Ligne, Paschoud, 1809.djvu/136

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repondu, avec son esprit et sa grâce ordinaire, mais qui malheureusement ne suffisent pas pour gouverner, qu’il tâcheroit de mettre un conducteur pour détourner la foudre.

Je m’ennuie d’ennuyer Votre Majesté Impériale de notre inaction. Nous en sommes sortis l’autre jour assez ridiculement, sans savoir pourquoi. Le soi-disant invincible Suvarow, après avoir bien dîné à huit heures du matin, selon sa coutume, a fait, de son autorité privée et sans qu’on s’y attendît, marcher toute sa gauche en quatre bataillons carrés, contre le retranchement de la droite. Il étoit clair qu’il n’y entreroit pas avec ces manières-là. Aussi, à moitié chemin, il avoit déjà reçu un bon coup de fusil et perdu mille hommes. Comme je vis tous les petits drapeaux turcs se porter sur ce point, ce qui me prouva qu’il n’y avoit plus personne dans le retranchement de la gauche, je courus à notre droite pour engager le général russe à sauter dans ce retranchement avec son aile droite. Il en mouroit d’envie. J’envoyai mes deux aides-de-camp, autrichien et russe, au prince Potemkin pour lui en demander la permission. D’abord point de réponse : il pleuroit ; car un maudit amour d’humanité, point joué, mais mal place, lui fait regretter les morts qui sont cependant nécessaires pour