Page:Germaine de Stael - Lettres et pensées du maréchal prince de Ligne, Paschoud, 1809.djvu/218

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pressement recevoit son argent, quand par hasard il rencontroit son acheteur. Philosophes sans le savoir, les riches propriétaires fumoient sur les débris de leurs maisons et de leur fortune. Osman Bacha, le sot gouverneur de Belgrade, fumoit au milieu de sa cour, rangée en cérémonie, comme s’il commandoit encore, et comme s’il ne s’attendoit pas à rencontrer un Capidgy Bachi pour lui demander de la part du Sultan Selim ce qu’il n’a pas, sa tête, car elle étoit déjà perdue à notre premier coup de canon. La beauté et la variété des couleurs riches et tranchantes des Janissaires, nos bonnets de grenadiers, leurs turbans, notre garnison, les Spahis, point abattus quoique battus, leurs superbes armes, leurs chevaux, fiers comme eux, leur air ferme, jamais bas, malgré le malheur ; les rives du Danube et de la Save bordées de ces figures pittoresques, récréoient les yeux et réjouissoient l’ame ; on étoit seulement un peu attriste de voir emporter par terre et par eau les cadavres d’hommes, de chevaux, de bœufs et de moutons, qui pendant le siège n’avoient pas pu être enterrés. On sentoit à la fois le mort, le brûlé et l’essence de rose : car il est extraordinaire d’unir à ce point les goûts voluptueux à la barbarie.

Le maréchal a demandé pour moi la croix