Page:Gervaise de Latouche - Le Portier des Chartreux, 1889.djvu/181

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plaisirs achetés par un esclavage éternel. Elles riaient de mon étonnement, et ne pouvaient elles-mêmes concevoir que je pusse avoir de pareilles idées. — Tu connais bien peu notre tempérament, me disait un jour une d’entre elles extrêmement jolie, et que le libertinage, fruit trompeur d’une éducation cultivée, avait fait jeter dans les bras de nos moines ; n’est-il pas vrai, me disait-elle, qu’il est plus naturel d’être sensible au bien qu’au mal ? J’en convenais. Ferais-tu difficulté, reprenait-elle, de sacrifier une heure du jour à la douleur, si l’on t’assurait que l’heure suivante se passerait dans une extrême joie ? — Non, assurément, lui disais-je. — Eh bien, poursuivit-elle, au lieu d’une heure mets un jour ; de deux, l’un sera pour le chagrin et l’autre pour le plaisir ; je te crois trop sage pour refuser un pareil parti si l’on te l’offrait. Je dis plus : l’homme le plus indifférent ne le refuserait pas, et la raison en est toute naturelle. Le plaisir est le premier mobile de toutes les actions des hommes ; il est déguisé sous mille noms différents, suivant les différents caractères. Les femmes ont de commun avec vous tous les caractères possibles ; mais elles ont au-dessus l’impression victorieuse du plaisir de l’amour ; leurs actions les plus indifférentes, leurs pensées les plus sérieuses naissent toutes dans cette source et portent toujours, quoique déguisées, la marque du fond d’où elles sortent. La nature nous a donnés des désirs bien plus vifs,