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DE L’EMPIRE ROMAIN. CHAP. II.

blié ; les sophistes avaient usurpé celui d’orateurs ; une nuée de critiques, de compilateurs et de commentateurs obscurcissait le champ des sciences, et la corruption du goût suivit de près la décadence du génie.

Dépravation.

Un peu plus tard, on vit paraître à la cour d’une reine de Syrie un homme qui, élevé en quelque sorte au-dessus de son siècle, fit revivre l’esprit de l’ancienne Athènes. Le sublime Longin observe et déplore cette dépravation qui avilissait ses contemporains, énervait leur courage et étouffait les talens. « Comme on voit, dit-il, les enfans dont les membres ont été trop comprimés, demeurer toujours des pygmées, ainsi, lorsque nos âmes ont été enchaînées par le préjugé et par la servitude, elles sont incapables de s’élever. Jamais elles ne connaîtront cette véritable grandeur si admirée dans les anciens, qui, vivant sous un gouvernement républicain, écrivaient avec la même liberté qui dirigeait leurs actions[1]. » Pour suivre cette métaphore, disons que le genre humain éprouva de jour en jour une dégradation sensible ; et réellement l’empire romain n’était peuplé que de pygmées, lorsque

  1. Longin, Traité du Sublime, c. 45, p. 229, édit. Toll. Ne pouvons-nous pas dire de Longin qu’il appuie ses allégations par son propre exemple ? Au lieu de proposer ses sentimens avec hardiesse, il les insinue avec la plus grande réserve ; il les met dans la bouche d’un ami ; et, autant que nous en pouvons juger d’après un texte corrompu, il veut paraître lui-même chercher à les réfuter.