Page:Gibbon - Histoire de la décadence et de la chute de l'Empire romain, traduction Guizot, tome 10.djvu/372

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core au treizième siècle les tombeaux de leurs chefs, et le fleuve rapide entraîna dans la Méditerranée des milliers de leurs cadavres. Abderame n’eut pas moins de succès du côté de l’Océan. Il traversa sans opposition la Garonne et la Dordogne, qui réunissent leurs eaux dans le golfe de Bordeaux ; mais il trouva au-delà de ces rivières le camp de l’intrépide Eudes qui avait formé une seconde armée, et qui essuya une seconde défaite si fatale aux chrétiens, que, de leur aveu, Dieu seul pouvait compter le nombre des morts. Après cette victoire, l’armée des Sarrasins inonda les provinces de l’Aquitaine, dont les noms gaulois se trouvent déguisés plutôt qu’effacés par les dénominations actuelles de Périgord, Saintonge et Poitou ; Abderame arbora son drapeau sur les murs, ou du moins devant les portes de Tours et de Sens, et ses détachemens parcoururent le royaume de Bourgogne, jusqu’aux villes si connues de Lyon et Besançon. La tradition a conservé long-temps le souvenir de ces ravages, car Abderame n’épargnait ni le pays ni les habitans ; et l’invasion de la France par les Maures et les musulmans, a donné lieu à ces fables, dont les romans de chevalerie ont dénaturé les faits d’une manière si bizarre, et que l’Arioste a ornés de couleurs si brillantes et si agréables. Dans l’état de décadence où se trouvaient la société et les arts, les villes abandonnées de leurs habitans n’offraient aux Sarrasins qu’une proie de peu de valeur ; leur plus riche butin se composa des dépouilles des églises et des monastères qu’ils livrèrent aux flammes