Page:Gibbon - Histoire de la décadence et de la chute de l'Empire romain, traduction Guizot, tome 11.djvu/324

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de Godefroi et de ses compagnons lui paraissaient mériter plus de considération, mais pas beaucoup plus de confiance. Leurs motifs pouvaient être pieux et purs ; mais l’empereur grec redoutait également l’ambition connue de Bohémond et le caractère inconnu des autres chefs. Le courage des Francs était aveugle et impétueux ; les richesses de la Grèce pouvaient les tenter ; la vue de leurs nombreuses armées, le sentiment de leurs forces pouvaient enfler leur orgueil et leur confiance, et Constantinople pouvait leur faire oublier Jérusalem. Après une longue marche et une abstinence pénible, les troupes de Godefroi campèrent dans les plaines de la Thrace ; elles apprirent avec indignation la captivité du comte de Vermandois, et le général fut obligé de permettre à leur ressentiment quelques représailles et quelques rapines. La soumission d’Alexis les apaisa ; il promit d’approvisionner leur camp ; et comme les soldats refusaient de passer le Bosphore au cœur de l’hiver, on assigna leurs quartiers au milieu des jardins et des palais qui couvraient les côtes de ce bras de mer. Mais il subsistait toujours une inimitié incurable entre deux nations qui se traitaient réciproquement d’esclaves ou de Barbares. L’ignorance amène le soupçon ; du soupçon l’on passe à des provocations journalières ; le préjugé est aveugle, la faim n’a point d’oreilles ; l’on accusa Alexis d’avoir formé le projet d’affamer ou d’attaquer les Latins dans un poste dangereux, environné de tous côtés par les eaux[1].

  1. Entre la mer Noire, le Bosphore et la rivière de Bar-