Page:Gibbon - Histoire de la décadence et de la chute de l'Empire romain, traduction Guizot, tome 11.djvu/329

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de ce vaillant, chevalier. Il dédaigna l’or et les louanges du prince grec, châtia en sa présence l’insolence d’un patricien, s’enfuit en Asie sous l’habit d’un simple soldat, et céda en soupirant à l’autorité de Bohémond et à l’intérêt de la cause commune. La raison la meilleure et la plus frappante était l’impossibilité de passer la mer et d’accomplir leur vœu sans la permission et les vaisseaux d’Alexis. Mais ils se flattaient secrètement qu’arrivés sur le continent de l’Asie, leurs épées effaceraient leur honte et rompraient un engagement dont il était probable que le souverain de Byzance n’observerait pas bien religieusement les conventions ; la cérémonie de leur hommage flatta un peuple aux yeux de qui, depuis long-temps, l’orgueil tenait lieu de la puissance. Assis sur un trône élevé, l’empereur demeura muet et immobile ; les princes latins l’adorèrent et se soumirent à lui baiser les pieds ou les genoux. Leurs propres historiens, honteux d’avouer cet abaissement, n’ont point osé entreprendre de le désavouer[1].

Insolence des Francs.

L’intérêt public ou particulier avait contenu les

  1. La vanité des historiens des croisades passe légèrement et avec embarras sur cette humiliante circonstance ; cependant il est clair que puisque les héros s’agenouillèrent pour saluer l’empereur, qui restait immobile sur son trône, ils lui baisèrent ou les pieds ou les genoux : il est seulement assez extraordinaire qu’Anne n’ait pas amplement suppléé au silence ou à l’ambiguité des Latins ; l’abaissement de leurs princes aurait ajouté un chapitre intéressant au Cæremoniale aulæ Byzantinæ.