Page:Gibbon - Histoire de la décadence et de la chute de l'Empire romain, traduction Guizot, tome 11.djvu/90

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

taient ne donnait point de quartier ; sa pauvreté ne laissait pas l’espoir du butin ; ses impénétrables retraites ôtaient au vainqueur l’espoir de la vengeance, et soit orgueil ou faiblesse, c’était une opinion établie que l’empire ne pouvait ni augmenter, ni perdre sa gloire par ses rapports avec des Barbares. Les propositions de ceux-ci furent d’abord immodérées et inadmissibles : ils demandèrent trois livres d’or pour chaque soldat ou matelot de la flotte ; la jeunesse russe voulait faire des conquêtes ; la sagesse des vieillards prêchait la modération : « Contentez-vous, disaient-ils, des magnifiques offres de César. Ne vaut-il pas mieux obtenir sans combattre, l’or, l’argent, les étoffes de soie et tout ce qui est l’objet de nos désirs ? Sommes-nous sûrs de la victoire ? Pouvons-nous conclure un traité avec la mer ? nous ne marchons pas sur terre, nous flottons sur l’abîme des eaux, et la mort est également suspendue sur la tête de tous[1]. » Le souvenir de ces flottes arctiques qui semblaient descendre du cercle polaire, laissa dans la cité impériale une profonde impression de terreur. Le vulgaire de tous les rangs assurait et croyait qu’une statue équestre, qu’on voyait dans la place du Taurus, portait une inscription secrète, annonçant que les Russes, dans les derniers jours, deviendraient maîtres de Constantinople[2].

  1. Nestor, apud Lévesque, Hist. de Russie, t. I, p. 87.
  2. Cette statue d’airain venait d’Antioche, et les Latins la fondirent : on supposait qu’elle représentait Josué ou Bel-