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enduisit de graisse de bœuf et de brebis. Il fit tirer du détroit, placer sur des rouleaux et couler sur ces planches, à force de bras et de poulies, quatre-vingts galères ou brigantins de cinquante et trente rames ; deux guides ou pilotes étaient au gouvernail et à la proue de chaque navire : les voiles flottaient au gré des vents, et des chants et des acclamations égayèrent ce grand travail. Dans le cours d’une seule nuit, la flotte des Turcs gravit la colline, traversa la plaine et fut lancée dans le havre, dans un lieu où il n’y avait pas assez d’eau pour les navires plus lourds des Grecs. La terreur qu’inspira aux Grecs cette opération, et la confiance qu’elle donna aux Turcs, exagérèrent son importance réelle ; mais ce fait notoire et incontestable eut pour témoins les deux nations dont les écrivains l’ont également raconté[1]. Les anciens avaient employé souvent ce stratagème[2]. Les galères ottomanes, je dois le répéter, n’étaient que de gros bateaux ; si nous comparons la grandeur des navires et la distance, les obstacles et les moyens,

  1. Le témoignage unanime des quatre Grecs est confirmé par Cantemir (p. 96), d’après les Annales turques ; mais je voudrais réduire la distance de dix milles, et prolonger l’intervalle d’une nuit.
  2. Phranza cite deux exemples de navires qu’on transporta ainsi sur l’isthme de Corinthe l’espace de six milles ; l’un fabuleux, celui d’Auguste après la bataille d’Actium ; l’autre véritable, celui de Nicétas, général grec du dixième siècle. Il aurait pu y ajouter l’audacieuse entreprise d’Annibal pour introduire ses navires dans le port de Tarente (Polybe, l. VIII, p. 749, édit. de Gronov.).