Page:Gibbon - Histoire de la décadence et de la chute de l'Empire romain, traduction Guizot, tome 5.djvu/403

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de Rufin ne lui laissa que le reproche et l’envie d’une opulence mal acquise. Ceux qui dépendaient de lui le servaient sans attachement, et la terreur qu’inspirait sa puissance arrêtait seule les entreprises de la haine universelle dont il était l’objet. Le sort de Lucien apprit à tout l’Orient que si Rufin avait perdu une partie de son activité pour les affaires, il était encore infatigable quand il s’agissait de poursuivre sa vengeance. Lucien, fils du préfet Florentius, l’oppresseur de la Gaule et l’ennemi de Julien, avait employé une partie de sa succession, fruit de la rapine et de la corruption, à acheter l’amitié de Rufin, et le poste important de comte de l’Orient ; mais le nouveau magistrat eut l’imprudence de renoncer aux maximes de la cour et du temps, d’offenser son bienfaiteur par le contraste frappant d’une administration équitable et modeste, et de se refuser à un acte d’injustice qui aurait pu devenir profitable à l’oncle de l’empereur. Arcadius se laissa facilement persuader de punir cette insulte supposée, et le préfet de l’Orient résolut d’exécuter en personne l’affreuse vengeance qu’il méditait contre l’ingrat à qui il avait délégué une partie de sa puissance. Rufin partit pour Antioche, parcourut sans s’arrêter l’espace de sept à huit cents milles qui sépare cette ville de Constantinople, arriva au milieu de la nuit dans la capitale de la Syrie, et répandit une consternation universelle chez un peuple qui ignorait ses desseins, mais qui connaissait son caractère. On traîna le comte de quinze provinces de l’Orient, comme un vil mal-