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sur l’île de Capraria, qui avait pris ce nom des chèvres sauvages, ses premiers habitans, et était occupée alors par une nouvelle colonie d’un aspect sauvage et bizarre. « Toute l’île, dit un ingénieux voyageur de ce siècle, est remplie ou plutôt souillée par des hommes qui fuient la clarté du jour. Ils prennent le nom de moines ou de solitaires, parce qu’ils vivent seuls et ne veulent point de témoins de leurs actions. Ils rejettent les richesses dans la crainte de les perdre, et pour éviter de devenir malheureux, ils se livrent volontairement à la misère. Quel comble d’extravagance et d’absurdité, de craindre les maux de cette vie sans savoir en goûter les jouissances ! Ou cette humeur mélancolique est l’effet d’une maladie, ou les remords de leurs crimes obligent ces malheureux à exercer sur eux-mêmes les châtimens que la main de la justice inflige aux esclaves fugitifs[1]. »

Tel était le mépris d’un magistrat profane pour les moines de Capraria, révérés par le pieux Mascezel comme les serviteurs chéris du Tout-Puissant[2].

  1. Claudien, Rutil. Numatian. Itiner., I, 439-448. Ensuite (515-526) il fait mention d’un pieux insensé dans l’île de Gorgone. Choqué de ces remarques profanes, le commentateur Barthius appelle Rutilius et ses complices rabiosi canes diaboli. Tillemont (Mém. ecclés., t. XII, p. 471) observe avec plus de modération, que le poète incrédule donne un éloge en croyant faire une satire.
  2. Orose, l. VII, c. 36, p. 564. Saint Augustin fait l’éloge de deux de ces saints sauvages de l’île des Chèvres