Page:Gibbon - Histoire de la décadence et de la chute de l'Empire romain, traduction Guizot, tome 8.djvu/12

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agens qui, sans courage et sans danger, usurpent les émolumens de la guerre, retenait ou interceptait son tardif payement. Dans cette position, la misère publique et particulière fournissait des recrues aux troupes de l’état ; mais en campagne, et surtout en présence de l’ennemi, leur nombre diminuait considérablement. Pour suppléer à ce qui manquait de courage national, on avait recours à la fidélité précaire et à la valeur indisciplinée des Barbares mercenaires. L’honneur militaire même, qui s’est maintenu souvent après la perte de la vertu et de la liberté, était presque anéanti. Les généraux, multipliés à un point dont on n’avait pas eu d’exemple dans les anciens temps, ne travaillaient qu’à prévenir les succès ou à ternir la réputation de leurs collègues ; et l’expérience leur avait appris que le mérite pouvait exciter la jalousie de l’empereur, et que l’erreur ou même le crime avait droit de compter sur sa bienveillante indulgence[1]. Dans ce siècle avili, les triomphes de Bélisaire, et ensuite ceux de Narsès, brillent d’un éclat auquel on ne peut rien comparer ; mais autour de ces triomphes, la honte et les calamités se présentent de toutes parts sous leurs plus sombres couleurs. Tandis que le lieutenant de Justinien subjuguait les royaumes des Goths et des Vandales, l’empereur, timide[2] malgré son ambition, cherchait

  1. Voyez les troisième et quatrième livres de la guerre des Goths. Tels étaient ces abus que l’auteur des Anecdotes ne peut exagérer.
  2. Agathias, l. V, p. 157, 158. Il borne cette faiblesse