Page:Gibbon - Histoire de la décadence et de la chute de l'Empire romain, traduction Guizot, tome 8.djvu/156

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Narsès, le premier et le plus puissant des exarques, gouverna plus de quinze ans tout le royaume d’Italie. Autant que Bélisaire, il avait mérité l’honneur d’être envié, calomnié et disgracié ; mais ou l’eunuque favori de Justinien posséda toujours sa confiance, ou bien l’ingratitude d’une cour faible fut intimidée et réprimée par le chef d’une armée victorieuse. Au reste, ce n’est point par une indulgence pusillanime et funeste que Narsès captiva l’affection de ses troupes. Celles-ci, oubliant le passé et ne songeant point à l’avenir, abusèrent de ce moment de prospérité et de paix. Les villes d’Italie retentirent de la joie bruyante de leurs danses et de leurs festins ; on les vit consommer dans des plaisirs sensuels les richesses qu’elles devaient à la victoire ; et il ne leur restait plus, dit Agathias, qu’à échanger leurs boucliers et leurs casques contre des luths voluptueux et des cruches au large ventre[1]. L’eunuque leur adressa un discours qui n’eût pas été indigne d’un censeur romain ; il leur reprocha ces désordres qui souillaient leur réputation et compromettaient leur sûreté. Les soldats rougirent et obéirent : la discipline se raffermit ; on répara les fortifications ; on établit, pour la défense de chacune des villes principales, un duc qu’on y revêtit du commandement militaire[2] ; et

  1. Ελιπετο γαρ οιμαι, αυτοις υπο αβελτεριας τας ασπιδας τυχον και τα κρανη αμφορεως οινο‌υ και βαρβιτο‌υ αποδοσθαι (Agathias, l. II, p. 48). Shakespeare, dans la première scène de Richard III, enchérit admirablement sur cette idée, qu’il ne devait cependant pas à l’historien de Byzance.
  2. Maffei (Verona illustrata, part. I, l. X, p. 257, 289) a