Page:Gibbon - Histoire de la décadence et de la chute de l'Empire romain, traduction Guizot, tome 8.djvu/291

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tout autre objet, la latitude laissée à l’évaluation ne s’étendait qu’à trente jours. Une injure personnelle devient légère ou grave, selon les mœurs du temps et la sensibilité de celui qui l’a reçue, et il n’est pas facile d’évaluer en argent la douleur ou la honte d’un coup ou d’une parole. La jurisprudence grossière des décemvirs avait confondu toutes les insultes de la colère qui n’allaient pas à la fracture d’un membre, et elle soumettait l’agresseur à la même peine de vingt-cinq asses. Mais dans l’espace de trois siècles, l’as qui pesait une livre, fut réduit à une demi-once ; et l’insolence du riche Veratius se procura à peu de frais le plaisir d’enfreindre et de satisfaire la loi des Douze-Tables : il courait les quartiers de Rome en frappant au visage tous ceux qu’il rencontrait, et suivi d’un esclave qui, chargé d’une bourse, imposait silence à leurs clameurs en leur offrant les vingt-cinq pièces de cuivre, c’est-à-dire, à peu près un schelling[1], qu’exigeait la loi. Les préteurs examinaient et évaluaient, selon l’équité, la nature de chaque plainte particulière. Quand on adjugeait des dommages civils, le magistrat se permettait de faire entrer dans son calcul les diverses circonstances du temps et du lieu, de l’âge et de la dignité, qui aggravaient la honte et les douleurs de la personne injuriée : mais s’il imposait une amende, s’il infligeait un châtiment, s’il faisait un exemple, il empiétait sur le ressort de

  1. Aulu-Gelle, Nuits Attiques, XX, I. Il a tiré cette histoire des Commentaires de Q. Labéon sur les Douze-Tables.