Page:Gide - Les Nourritures terrestres.djvu/198

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Mon esprit vous vous êtes extraordinairement exalté, durant vos fabuleuses promenades !
Ô ! mon cœur, je vous ai largement abreuvé ; ma chair je vous ai soûlée d’amour.

C’est en vain que maintenant, reposé, je tâche de compter ma fortune ; je n’en ai point. — Je cherche parfois dans le passé quelque groupe de souvenirs, pour m’en former enfin une histoire, mais je m’y méconnais, et ma vie en déborde. Il me semble ne vivre aussitôt que dans un toujours neuf instant. Ce que l’on appelle : se recueillir, m’est une contrainte impossible ; je ne comprends plus le mot : solitude ; être seul en moi, c’est n’être plus personne ; je suis peuplé ! — D’ailleurs je ne suis chez moi que partout ; et toujours le désir m’en chasse. Le plus beau souvenir ne m’apparaît que comme une épave du bonheur. La moindre goutte d’eau, fût-ce une larme, dès qu’elle mouille ma main, me devient d’une plus précieuse réalité.