Page:Gide - Les Nourritures terrestres.djvu/82

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marchander votre ruissellement à nos lèvres ? quand toute notre soif ne pourrait vous tarir et que votre eau déborderait toujours nouvelle pour chaque autre lèvre tendue. — J’ai compris maintenant que toutes les gouttes de cette grande source divine s’équivalent, que la moindre suffit à notre ivresse et nous révèle la plénitude et la totalité de Dieu. — Mais alors que n’eût point souhaité ma folie ? — J’enviais toute forme de vie ; tout ce que je voyais faire par quelque autre, j’eusse aimé le faire moi-même ; non l’avoir fait, le faire — entendez-moi — car je ne craignais que très peu la fatigue, la souffrance, et les croyais instruites de la vie. Je fus jaloux de Parménide trois semaines parce qu’il apprenait le turc ; deux mois plus tard de Théodose qui découvrait l’astronomie. Ainsi ne traçai-je de moi que la plus vague et la plus incertaine figure, à force de ne la vouloir point limiter.

Raconte-nous ta vie, Ménalque, dit Alcide, —

et Ménalque reprit : ……

… « À dix-huit ans[1], quand j’eus fini mes premières études, l’esprit las de travail, le cœur

  1. Ce fragment a paru déjà dans l’Ermitage (no de janvier 96).