Page:Gide - Les Nourritures terrestres.djvu/91

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navires ; je descendis dans les ruelles mal éclairées ; mais je blâmais chez moi le désir de l’expérience, notre unique tentation, — et laissant les marins près des bouges, je regagnais le port tranquille ; et le conseil taciturne des nuits s’interprétait du souvenir de ces ruelles dont l’étrange et pathétique rumeur parvenait à travers l’extase. — J’aimais mieux les trésors des champs. —

Pourtant, à vingt-cinq ans, non lassé de voyages, mais tourmenté par l’excessif orgueil que cette vie nomade avait fait croître, je compris ou me persuadai que j’étais mûr enfin pour une forme nouvelle.

Pourquoi ? pourquoi, leur disais-je, me parlez-vous de partir encore sur les routes ; je sais bien que de nouvelles fleurs, au bord de toutes, ont fleuri, — mais c’est vous à présent qu’elles attendent. Les abeilles ne butinent qu’un temps ; après se font trésorières. — Je rentrai dans l’appartement délaissé. J’enlevai le linge de sur les meubles : j’ouvris les fenêtres ; et, profitant des économies que comme malgré moi, vagabond, j’avais pu faire, je m’entourai de tout ce que je pus me procurer d’objets précieux ou fragiles, de vases ou de livres de prix et surtout de tableaux