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La légitimité du droit de faire grève n’est plus aujourd’hui

    1871, puisqu’on peut en retrouver en remontant à deux siècles en arrière, mais c’est à cette date seulement qu’elles ont été investies de la personnalité civile. Les Trade-Unions, riches aujourd’hui à millions, comptant des milliers d’adhérents (l’association des ouvriers mécaniciens compte 90.000 membres et possédait, à la fin de 1896, 7 millions francs en caisse), dirigées par des hommes prudents et distingués dont quelques-uns sont entrés à la Chambre des communes, représentées par de grands congrès annuels, constituent une véritable puissance sociale. Jusqu’à présent, elles n’ont pas mis cette puissance au service des idées sociales, mais n’ont poursuivi que le but plus pratique d’une augmentation dans les salaires ou d’une diminution dans la durée de la journée de travail, mais sans rien vouloir demander à l’État. Elles ont usé assez modérément de l’arme redoutable de la grève, préférant consacrer la plus grande partie de leurs ressources à des caisses de chômage, de retraite, on pour les maladies. Elles prenaient même un esprit de plus en plus conservateur, et en fermant leurs rangs, elles tendaient à faire de leurs membres une sorte d’aristocratie ouvrière.Il est vrai que la masse composée des ouvriers employés aux travaux vulgaires et qui n’exigent point d’apprentissage (ce qu’on appelle unskilled labor) formé depuis peu (depuis la fameuse grève dés portefaix des docks de Londres en 1890) des Trades-Unions nombreuses mais pauvres, d’un esprit beaucoup plus socialiste, beaucoup plus disposées à réclamer l’intervention de l’État à raison de la modicité de leurs ressources, et qui semblait devoir entraîner le Trade-Unionisme vers le collectivisme, mais aujourd’hui ces nouvelles Unions perdent plutôt du terrain (Voy. le livre de M. et Mme Webb, Histoire du trade-Unionisme, traduit en français).
    Aux Etats-Unis, il y a aussi des Trade-Unions ; mais on y préfère les formes d’association beaucoup plus vastes qu’on appelle des « organisations » et dont la plus célèbre, mais qui a perdu aujourd’hui beaucoup de son importance, était celle des Knights of Labor (Chevaliers duTravail) qui, malgré ce titre emphatique, se recrutait plutôt parmi les ouvriers unskilled.
    En France, les syndicats ouvriers comme on les appelle, n’ont obtenu l’existence légale que par la loi de 1884 sur les syndicats professionnels qui a été une sorte de contre-révolution. On sait, en effet, que la Révolution de 1789, par crainte de voir revivre les anciennes corporations avait défendu aux ouvriers de s’associer. Les appréhensions des hommes de la Révolution en ce qui touche le réveil de l’esprit corporatif et les risques qu’il pourrait faire courir à la liberté individuelle, n’étaient pas aussi vaines qu’on le prétend, car ces associations professionnelles à peine reconstituées et quoiqu’elles ne représentent encore qu’une faible minorité de la population ouvrière (421.000 membres en 1896) manifestent déjà la prétention d’imposer leurs décisions aux ouvriers non syndiqués.
    De là des conflits incessants qui ont provoqué de nombreuses décisions judiciaires contradictoires et une foule de projets de loi, la jurisprudence et la législation s’efforçant vainement de concilier les droits des syndiqués avec la liberté des non syndiqués.
    Il y a même eu un mouvement considérable en Suisse tendant à rendre les décisions des syndicats légalement obligatoires pour tous les ouvriers de la même industrie.