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Page:Gilbert - Les Lettres françaises dans la Belgique aujourd’hui, 1906.djvu/16

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que son auteur est mort tout à fait méconnu, dans l’isolement et dans la déréliction totale, et que, suivant l’amère parole de l’un des rares critiques qui lui rendirent justice, « s’il avait fallu ne couvrir sa tombe que des pelletées de terre pieusement jetées par ses amis, on eût laissé sa dépouille à fleur de sol, de ce sol patrial qu’il avait à jamais fécondé en jetant à pleines mains une généreuse semence maintenant en floraison. »

Le héros du monument littéraire dont Ch. de Coster enrichitson pays est à la fois familier aux deux races, la flamande et la wallonne. « Ulenspiegel », c’est le «. Jean de Nivelles » des Wallons. Mais le romancier n’a pas laissé son personnage symbolique enveloppé des bandelettes légendaires : il l’a repétri et comme créé à nouveau ; il en a fait non plus un type caricatural et carnavalesque, non plus un mythe à amuser les enfants, comme Polichinelle, ou à faire songeries grandes personnes, comme Barbe-Bleue, mais un être de chair et de sang qui vit, que nous voyons palpiter et souffrir,qui nous attache, qui nous émeut et qui nous entraîne dans l’orbe passionnant de ses aventures tragiques ou sentimentales. Un Imaginatif ardent, un peintre visionnaire, un sensitif aux conceptions lyriques et pessimistes, — Charles de Coster était tout cela, — s’est emparé du personnage falot de tradition et de folklore, pour adapter son être à l’une des époques les plus dramatiques des fastes des Pays-Bas, époque qu’il a, — dans un esprit de passion huguenote, — puissamment ressuscitée. Il a grandi cet être jusqu’à lui donner les proportions d’un type représentatif d’humanité générale. Francis Nautet a très exactement défini le mérite du conteur, dans cette œuvre de refonte, embrasée au souffle d’un feu passionné et aussi partial, relevée d’une saveur pénétrante par la langue même où abondent, avec des trouvailles exquises.