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Page:Gilbert - Les Lettres françaises dans la Belgique aujourd’hui, 1906.djvu/17

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tous les piments d’un archaïsme ingénieusement approprié, et que domine une « intensité poétique raffinée et presque toujours mélangée d’amertume indéfinissable. »

Légende, philosophie, histoire, roman, poésie populaire, tout est harmonieusement amalgamé dans l’Histoire de Tyl Ulenspiegel. Ce n’est pas un des moindres attraits de cette œuvre si foncièrement individuelle que d’y pouvoir découvrir, sous l’agrément d’une langue ferme et pittoresque, fluide et finement colorée, abondante, imagée et mouvementée, la vérité humaine de certains portraits d’une originalité de dessin intense. Ces portraits demeurent frappants d’allure, quelques reproches que l’histoire doive leur opposer parfois.

Détachons, de la riche galerie alignée par l’auteur, celui-ci, dont les traits, en apparence fantaisistes, fixent l’étrange et taciturne silhouette de Philippe II enfant :

« Tandis que croissait en gaie malice le fils vaurien du charbonnier (Ulenspiegel), végétait en maigre mélancolie le rejeton dolent du sublime empereur. Dames et seigneurs le voyaient marmiteux traîner, par les chambres et corridors de Valladolid, son corps frêle et ses jambes branlantes portant avec peine le poids de sa grosse tête, coiffée de blonds et roides cheveux.

«Sans cesse cherchant les corridors noirs, il y restait assis des heures entières en étendant les jambes. Si quelque valet lui marchait dessus par mégarde, il le faisait fouetter et prenait son plaisir à l’entendre crier sous les coups, mais il ne riait point. «Le lendemain, allant tendre ailleurs ces mêmes pièges, il s’asseyait derechef dans quelque corridor, les jambes étendues. Les dames, seigneurs et pages qui y passaient en courant ou autrement se heur-