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Page:Gilbert - Les Lettres françaises dans la Belgique aujourd’hui, 1906.djvu/25

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offre une surabondance de vie, un débordement, un excès, une pléthore de sève sous pression. Ces éléments, d’origine plutôt romantique, dévièrent un jour dans le naturalisme. Si, dans certains contes flamands, si dans telles légendes prises à l’âme mystique de sa race, M.. Lemonnier nous apparaît comme un idéaliste rêveur et attendri, il n’en a pas moins signé d’autres pages, fort nombreuses, sur lesquelles un matérialisme sensuel et voluptueux, pèse et s’attarde. C’est surtout un instinctif, parfois brutal. La vérité est, nous le répétons après beaucoup de critiques, que M. Camille Lemonnier, doué d’une imagination féconde et investigatrice dans toutes les voies, garde une âme singulièrement complexe et assimilatrice. Il y a comme un flair inné de l’actualité dans cette souplesse adroite avec laquelle il sut varier si fréquemment non seulement la forme mais encore la pensée génératrice de ses œuvres.

Il débuta comme critique d’art et comme essayiste. Ses premiers Croquis d’automne sont d’une forme bizarre, riche bien certainement, mais d’une inattendue recherche verbale. Puis parurent Nos Flamands, proses romantiques brûlantes, bientôt suivies des Charniers où s’évoquèrent, après Sedan, l’horreur superbe des batailles, l’épouvante sanguinaire des grands déchirements humains. Dès les premières productions de M. Lemonnier, car bientôt vint Thérèse Monique, œuvre sentimentale toute en demi-teintes, il semblait manifeste que ce dur travailleur chercherait à éprouver ses forces dans toutes les voies, et voudrait explorer tour à tour les veines les plus opposées, celle du sentiment et celle de la matière, celle du mysticisme et celle de la sensualité, celle de la pure tendresse et celle des égarements hardis de l’amour. Ce dualisme a dominé toute sa carrière. Tandis qu’il dépassait le pessimisme de