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Page:Gilbert - Les Lettres françaises dans la Belgique aujourd’hui, 1906.djvu/27

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regorge, dans la forme comme dans le fond, de beautés éclatantes, mais s’alourdit de quelques graves défauts, parsemée comme elle Test de gemmes et de scories. Ne nous attardons point à rappeler les incertitudes de ses premiers essais, rocailleux et trop rutilants, puisque l’artiste, après avoir coulé sa pensée en des moules infiniment divers, a su atteindre aujourd’hui le prestige d’une langue riche et renouvelée, rarement embarrassée de néologismes laborieux, mais souple, insinuante, colorée des nuances les plus diaprées.

Et constatons, enfin, que c’est surtout dans les œuvres inspirées par Pâme patriale, consacrées à décrire l’existence grave et ardue, pesante de soucis et éclairée de joies furtives du paysan flamand, que M. Camille Lemonnier a su le mieux faire passer les frissons de son âme à lui, de son âme triste et déçue, quoique parfois adoucie de sérénité wallonne, de son âme créatrice d’une œuvre où la commisération apitoyée voisine avec des élans de gaieté un peu rabelaisienne, où l’instinct et la matière, si fréquemment, livrent bataille à l’esprit et au cœur. Ce goût de la couleur torride, ce tempérament frénétique, ce sursaut dans les apothéoses de la vie instinctive apparaissent décidément comme les notes caractéristiques des romanciers rattachés à l’inspiration flamande de la race. Nous les voyons, en effet, s’épanouir encore dans les romans « poldériens » de M. Georges Eekhoud, comme dans les scènes à la manière de Teniers que transcrit sur le papier M. Eugène Demolder.

M. G. Eekhoud n’a point, comme fit M. Lemonnier, varié incessamment ses recherches psychologiques ou descriptives. Il s’est exalté à célébrer la terre natale, et même une partie seulement de sa terre natale, la plus fruste et la plus sauvage, celle des « polders ». Il s’affirme comme un artiste excès-