Page:Gill - Le Cap Éternité, 1919.djvu/13

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noblesse innée, une grande réserve faite de délicatesse et de timidité. Il était tout autre pour ses familiers.

Causeur intéressant riche en souvenirs, il racontait, avec abondance et joyeuse humeur, les aventures variées dont il fut le héros plus ou moins admirable. Contrairement à l’usage, sa langue parlée, d’une diction parfaite, valait sa langue écrite ; il avait le geste ample, beaucoup d’expression et de l’accent ! Il peignait les personnages à merveille, ayant le don de l’évocation pittoresque. Il fallait entendre le gros rire qui secouait ses solides épaules au récit d’histoires du vieux temps… gaulois, pour se convaincre qu’il n’habitait pas toujours « les sommets de l’art », comme il disait, et que la pose olympienne de la légende ne lui était pas habituelle. Personne ne fut plus simple en ses contradictions et sa complexité.

Charles Gill était un gai compagnon, fidèle et dévoué. Jamais nous n’avons vu compatir avec plus de douceur aux peines d’autrui. La sensibilité maladive dont il était affligé — ce colosse s’évanouissait devant une goutte de sang — est le trait dominant chez Gill, celui qui explique tout l’être et toute l’œuvre. Il ne raisonnait pas, il sentait. Quel homme, à quarante-sept ans, fut encore à ce point un enfant ? Il s’enthousiasmait et se désespérait avec une impétuosité fugitive. Trop intelligent pour ne pas se rendre compte de ses incessantes variations, il se moquait de lui-même sans ménagements, prenait de graves résolutions et, le lendemain, redevenait le Protée de la veille. Son imagination passionnée le tenait et le tiendrait jusqu’à la fin. Bien imprudent qui eût prophétisé tel acte de Gill : il déjouait les psychologies et déconcertait ses plus intimes. Quand nous lui faisions remarquer ses inconséq