Page:Gill - Le Cap Éternité, 1919.djvu/21

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Dit-elle, ― un a-b-c, deux livres de prière,
Un ancien almanach : voilà notre misère !
D’instruire nos enfants nous aurions bien souci,
Mais, par malheur pour nous, l’école est loin d’ici…
J’ai pourtant un cahier tout rempli d’écriture
Et de dessins à l’encre ; il est sans signature ;
Il nous fut confié par un jeune inconnu
Je ne sais où parti, je ne sais d’où venu,
Qui nous est arrivé par une nuit d’orage.
La tempête l’avait jeté sur le rivage.
Aux clartés des éclairs je l’ai vu s’approcher
Et traînant son canot brisé sur le rocher ;
Puis il vint pour la nuit nous demander asile.
Il tombait chez du monde ami de l’Évangile !
Nous avons mis la table et rallumé le feu,
Pour qu’avant de dormir il se chauffât un peu.
Le matin, il s’en fut dans la forêt voisine ;
En un mince galon il tailla la racine
D’une épinette blanche et cousit son canot,
En regomma l’écorce et le remit à l’eau.
Le Norouet sur les crans brisait les vagues blanche.
Mes enfants ont caché l’aviron sous les branches.
Car il voulait partir malgré le temps affreux.

— Puisqu’il en est ainsi, petits cœurs généreux,
Leur dit-il, je demeure, en acceptant la chose
Qu’un père soucieux de votre bien propose :
À vous faire l’école ici je resterai
Travaillons bien ensemble, et quand le Saguenay
Sera couvert de glace, enfants, vous saurez lire !
Allez vers votre père, accourez le lui dire
Mais revenez bien vite avec mon aviron :
Du naufrage d’hier je veux venger l’affront !