Page:Gill - Le Cap Éternité, 1919.djvu/25

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Les lignes, çà et là, trahissaient les pensées :
Il semblait qu’en tremblant la main les eût tracées ;
Indiscret confident des secrètes douleurs,
Tel feuillet tacheté révélait d’anciens pleurs ;
Certains vers tourmentés portaient mainte rature,
Mais, sur plus d’une page entière, l’écriture
Semblait formée au jet de l’inspiration,
En ces moments d’ardente et vive passion
Où la plume rapide à peine suit la trame
De la pensée éclose aux profondeurs de l’âme.

Je lisais… Je lisais dans l’heure qui s’enfuit,
Tout le long de ce jour brumeux et de la nuit,
Penché sur le cahier du malheureux poète.

Et quand le commandant de notre goélette,
Pour l’heure du départ vint prendre mon avis,
Vers le sommet des monts dardant son regard gris,
Et me montrant, joyeux, l’éblouissante aurore,
À mon tour, cette fois, je lui dis : ― Pas encore !

Sur la côte sauvage où le mûrier fleurit,
Je transcrivis soigneusement le manuscrit ;
À ma tâche absorbé, dans l’oubli de moi-même,
Je revivais la vie intense du poème,
De son étrange auteur partageant le destin.
Le jour, j’allais m’asseoir à l’ombre du sapin
Où le pauvre inconnu s’était mis pour écrire,
Sous les mêmes rameaux qu’il entendit bruire.
Peut-être son esprit planait-il en ces lieux
Aux heures de silence où je le goûtais mieux.
Le soir, je m’installais à sa table rustique :
Copiant les dessins et l’œuvre poétique,