Page:Gill - Le Cap Éternité, 1919.djvu/31

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Maintenant, sur les flots qui roulaient des désastres.
La nuit, tombait, tragique, effrayante, sans astres ;
Et sur ma vie en proie à maint fatal décret,
Sombre pareillement la grande nuit tombait.
Je tentais d’étouffer, au fracas de la lame,
La voix du souvenir qui pleurait dans mon âme ;
En vain je voulais fuir un douloureux passé,
Et le sombre remords à mes côtés dressé.

Mais je me demandais si les tragiques ondes
N’allaient m’ensevelir dans leurs vagues profondes.
Je regardais la vie et la mort d’assez haut.
Ma liberté, mon aviron et mon canot
Étant mes seuls trésors en ce monde éphémère.
Aussi, me rappelant mainte douleur amère :
— « Autant sombrer ici que dans le désespoir !
Allons, vieux « Goéland » ! qu’importe tout ce noir !
Le parcours est affreux, mais, du moins, il est libre !
N’embarque pas trop d’eau ! défends ton équilibre !
Ton maître s’est mépris en jugeant le trajet :
Oppose ta souplesse au furieux Surouet !

Comme un oiseau craintif qui fuit devant l’orage,
Le grand canot filait vers la lointaine plage,
Sur les flots déchaînés qu’à peine il effleurait
Quand, dans l’obscurité, gronda le mascaret…
Le canot se cabra sur la masse liquide,
Tournoya sur lui-même et bondit dans le vide,
Prit la vague de biais, releva du devant,
Mais un coup d’aviron le coucha sous le vent.

Alors, des jours heureux me vint la souvenance
Je me revis au seuil de mon adolescence ;