Page:Gill - Le Cap Éternité, 1919.djvu/51

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Ainsi je remontais le fleuve de la Mort,
À l’étrange pilote abandonnant mon sort.

Le Silence imposa son règne aux bruits du monde
Dont mon âme évoquait encore les échos :
Clameurs, bourdonnement de la haine qui gronde,
Vils affronts de l’envie et cruauté des mots,
Tout s’est évanoui dans une paix profonde.

Et l’aile de l’Oubli sur la poupe dressé,
Empêchant mon regard d’observer en arrière
Le sillage d’argent par l’écorce tracé,
Cachait en même temps les lointains du passé.
L’Oubli tendit son aile au seuil du noir mystère ;
Du chemin déjà fait je perdis le parcours,
Et je ne vis plus rien dans le recul des jours :
Le remords s’endormit au fond de ma mémoire.
L’Oubli sur mon passé tendit son aile noire,
Tendit son aile noire entre l’ombre et mes yeux !
Ô bienfaisant retour des heureuses années !
J’ai scruté sans faiblir la loi des destinées,
Et j’ai levé le front sans crainte vers les cieux.
Devant le souvenir l’ange étendit son aile !
Tout s’est évanoui, remords, chagrin, rancœur :
J’ai senti le pardon céleste dans mon cœur,
Et le souffle de Dieu dans mon âme immortelle.

Ainsi je remontais le fleuve de la Mort,
Au sublime pilote abandonnant mon sort.