Page:Gillet - Histoire artistique des ordres mendiants.djvu/113

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ville remplie de l’éclat de ses fredaines et de ses pénitences. Il s’agissait de répudier tous les poncifs, et de traduire directement les choses. Il fallait reconstituer, grandeur nature, dans le cadre où l’histoire s’était passée, des événements dont le souvenir hantait toutes les mémoires, et lutter de réalité avec les faits eux-mêmes ; développer en vingt actes et sur la scène même, les épisodes variés d’une existence humaine, reconstruite avec son décor, ses apparences, sa richesse, son luxe dramatique et le mouvement profond qui l’anime tout entière.

Pour cela, c’était tout un peuple que l’artiste avait à créer : c’étaient, autour de l’acteur central, les satellites, les comparses, citadins, paysans, bourgeois, femmes, soldats, manants, chevaliers, clercs, évêques ; c’était une société avec ses costumes, ses mœurs, son mobilier, ses armes, ses habitudes extérieures et intimes, ses allures, ses gestes aux différents étages : on prend ses repas, on dort, on va, on vient, on voyage, on monte à cheval. Il y a le pape, des cardinaux, des secrétaires apostoliques, des frères en robe de bure, des laïques, des fidèles. Il y a des scènes en plein air et des scènes d’intérieur, la vie privée, la vie publique, des offices et des funérailles. Il y a les villes et les campagnes, les maisons et les ermitages, les églises et les palais : bref, un monde en action, dans ses occupations et dans son jour réels, toute une foule prise sur le vif, avec sa physionomie, ses travaux, ses usages, les dehors et les dedans de son existence quotidienne, — et je ne sais si aucun art a précipité d’un seul coup, dans une œuvre égale en surface, une telle masse d’observations, un pareil flot de personnages et une si prodigieuse irruption de vie[1].

  1. Cf. les brillants articles de M. Roger Fry dans la Monthly Review, décembre 1900 et février 1901.