Page:Gillet - Histoire artistique des ordres mendiants.djvu/118

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plus vil, et que, pour accomplir l’œuvre merveilleuse qu’il méditait, il n’a pu trouver de créature plus méprisable sur la terre, c’est pour cela qu’il m’a choisi, afin de confondre la noblesse, la force, la beauté, et la science du monde…[1] »

Dieu me garde de rechercher si François était beau, et de renouveler à son sujet la vieille querelle d’Origène sur la personne de Jésus[2] ! Le mot de beauté n’offre aucun sens quand il s’agit d’un charme si évidemment spirituel. Quoi de commun entre ce qu’on appelle régularité du visage, et cette petite mine fiévreuse, émaciée, sans traits, à la barbe de quinze jours, à la large bouche exsangue, aux yeux dilatés et brûlants, inouïs de flamme et de passion ? Les vieux portraits insistent sur ce décharnement, et ne nous offrent qu’un spectre étique d’une hébétude stupide et d’une morne hideur. Ce n’est pas ce saint-là qui a séduit le monde ; ce n’est pas lui qui conduisait le frère altéré sous les vignes, qui savait obtenir les derniers sacrifices en ayant l’air de quelqu’un qui vous offre un royaume ; qui ruisselait d’hymnes d’amour pour le ciel, le soleil, les champs, les fruits, les bêtes, et qui, sous ses haillons sordides, assis près d’un torrent, dînant d’un croûton et d’eau claire, semble un aristocrate, un sybarite de la pauvreté !

Certes, il y eut au monde peu de plus originales figures. Mais c’est justement ce charme qui échappe à Giotto. Ce personnage livide et extraordinaire, certainement délicat, malingre et souffreteux, perclus de tous ses membres, crucifié de douleurs, boitant, se traînant à peine, aux yeux malades, vivant de spasmes et de qui rayonnait une telle ardeur de joie ; ce petit homme noiraud en guenilles piteuses, abject et pareil, disait-il, à

  1. Floretum sancti Francisci, éd. Sabatier, Paris, 1902, cap. X, p. 39.
  2. N. Müller, art. Christusbilder, dans la Realencyclopedie de Hauck, t. IV, p. 64.