Page:Gillet - Histoire artistique des ordres mendiants.djvu/165

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gestes calmes et des regards brillants, sur ce fond de ténèbres ; un nimbe incandescent leur fait une auréole : telles apparurent les pucelles Catherine et Marguerite avec l’archange saint Michel, au son des cloches de l’Angelus, dans le feuillage ému des hêtres de Lorraine, à la bergère de Domrémy.

Et quelles figures ! Quelles vies ! Pas une de vulgaire : pas une qui s’abaisse aux intérêts profanes ! Tous aventuriers, paladins, martyrs, héros, ascètes, gueux ou soldats, princes ou mendiants ! Tous les métiers mènent à la sainteté, même celui du brigand, celui de la courtisane, tous, excepté les professions confortables et utilitaires. Quelle revanche pour les petits ! C’était un monde de roman, une vague et populaire Astrée[1], qui corrigeait les mille erreurs et les grossières bévues de l’ordre social. Chacun y prenait l’idée d’une perspective plus juste. Chacun se faisait son coin dans ces Champs-Elysées. À force de vivre en esprit dans ce monde imaginaire, on en venait à oublier de se plaindre de celui-ci. On y apprenait que le parti des satisfaits et des repus fait pauvre figure en face du Lazare qu’ils méprisent, du paria qu’ils écrasent ; et qu’en définitive une certaine pauvreté, la privation ou le détachement des biens matériels, sont la condition de la noblesse humaine. École merveilleuse de désintéressement, de courage, d’idéalisme ! Elle enseignait à la moindre femmelette à se placer, pour juger la vie, au point de vue suprême. Et qui en doute ? Le signe de la bassesse morale, c’est le gros rire du philistin qui se déclare content de la vie ; c’est l’égoïsme de l’homme pratique qui nie la vie du cœur, le sentiment, l’au-delà. Rien ne compte ici-bas que la somme

  1. Le mot est de Renan, Études d’histoire religieuse : les Vies des Saints, Paris, 1858.