Page:Gillet - Histoire artistique des ordres mendiants.djvu/170

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sonnage à turban, un Sarrasin, un mécréant atterré aux pieds de saint Thomas dans une attitude de révolte et de rage impuissantes : c’est le grand philosophe arabe, le docteur de l’Islam, Averroès[1].

Il est remarquable que dans cette glorification du génie dominicain, la figure de saint Dominique est absente. Sa noble physionomie manque de ces traits saillants qui frappent l’imagination[2]. Il fallut toutefois un demi-siècle à l’Ordre pour s’apercevoir que sa création vraiment originale était celle de saint Thomas[3], pour estimer à son prix l’œuvre de codification, la majestueuse cristallisation d’idées, la cathédrale intellectuelle élevée à l’Église par le penseur dominicain. De plus en plus, il prend dans son Ordre la première place, et partout on sent le désir de l’opposer à saint François. À la voûte de la chapelle Strozzi, à Sainte-Marie-Nouvelle, il figure quatre fois entre les vertus monastiques, comme saint François à Assise, à une place correspondante, dans les allégories des vertus franciscaines. Mais le thème favori en ce genre est la Dispute de saint Thomas, telle qu’on la trouve figurée dans le tableau de Pise. Ce tableau est

  1. Sur ce tableau de Francesco Traini, cf. Renan, Averroès et l’Averroïsme, 1852 ; Supino, Arte pisana, Florence, 1904.
  2. On a pourtant trop dit que saint Dominique avait peu inspiré les artistes. Il y a beaucoup de Vies de saint Dominique, à commencer par celle de Frà Guglielmo sur la châsse de Bologne, jusqu’à celles de Frà Angelico sur les prédelles de ses tableaux du Louvre et de Cortone. — Francesco Traini en avait peint une autre en 1345, pour Sainte-Catherine de Pise, dont les fragments sont partagés entre le musée et le séminaire de la ville. — Une Vie du Saint, en cinq fresques, par Ottaviano Nelli, a été découverte en 1903 dans l’église S. Domenico, à Fano (cf. Gnoli, Rassegna d’arte umbra, avril 1911). — Il y en avait de même dans les couvents étrangers. Jean Bellegambe en avait fait une pour les Jacobins de Douai (Dehaisnes, J. Bellegambe, Lille, 1890, p. 143.). Cf. au Prado (nos 2139-48) les neuf tableaux dominicains attribués à P. Berruguete. Madrazo, Catàlogo de los cuadros del museo nacional, 9e édit., 1904, p. 379.
  3. Il ne fut canonisé qu’en 1323, près de cinquante ans après sa mort. La translation de ses restes à Toulouse eut lieu en 1369. Cf. Douais, Les reliques de saint Thomas d’Aquin, textes originaux, Paris, 1903.