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le père d’une famille d’œuvres considérable. Reproduit presque textuellement dans une copie au Louvre, il se développe bientôt avec magnificence dans une fresque de Florence, dont je vous parlerai tout à l’heure, pour s’épanouir plus tard dans le chef-d’œuvre de Filippino à l’église de la Minerve, fresque dont Raphaël devait s’inspirer à son tour dans la Dispute du Saint-Sacrement[1].

Je ne m’étonne pas du succès d’une telle image. Sous une forme idéale, elle ne faisait que reprendre une pensée familière. Le moyen âge a eu le culte de l’enseignement. Sur les tombeaux de professeurs, si fréquents à Sienne, à Padoue, dans les villes universitaires, souvent un bas-relief représente le défunt en robe et en bonnet, siégeant au centre dans sa chaire et faisant sa leçon à deux files d’élèves assis à leurs pupitres. L’enseignement revêt là un caractère immortel. Rien n’exprime mieux cette empreinte, ce signe ineffaçable que le maître impose à ses disciples, et qui fait de leur vie le prolongement de la sienne[2]. Cette fonction magistrale, cette transmission de la pensée, le moyen âge l’a eue en véritable religion. Ainsi Dante dit à Virgile :

Tu duca, tu signore e tu maestro,
  1. Le tableau du Louvre est de Benozzo Gozzoli. Vasari (loc. cit, t. I, p. 394) en cite un autre, qu’il attribue à Giotto, dans l’église dominicaine de S.-Cataldo à Rimini. Un tableau italien du musée de Besançon reproduit la composition, à la gloire, non de saint Thomas, mais de saint Augustin (cf. Perdrizet, La galerie Campana et les musées français, Bordeaux, 1904) : c’est un des monuments de la rivalité d’Augustins à Prêcheurs dont je parle plus loin. On traitait encore ce sujet au xviie siècle. Le magnifique Zurbaran du Musée de Séville, peint en 1625, représente le Triomphe de saint Thomas d’Aquin.
  2. Voir encore les charmants tableaux d’Angelico à l’Académie de Florence, la Leçon d’Albert le Grand et la Leçon de saint Thomas. Les franciscains, d’autant plus fiers de leurs docteurs qu’on accusait l’Ordre d’ignorance, connaissaient ce genre de sujets. Ils se flattaient que saint Thomas avait été l’élève de leur Alexandre de Halès. « L’ancienne inscription qui est au sépulcre d’Alexandre le porte par exprès, et saint Thomas est dépeint avec saint Bonaventure comme ses disciples dans un vieux tableau sur la porte du chapitre du couvent de Paris ». Castet, Annales des Frères Mineurs, Toulouse, 1680, t. I. p. 387.