Page:Gillet - Histoire artistique des ordres mendiants.djvu/195

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« On payait d’abord, écrit Renan, un moine pour composer un « libretto », expliquant toute la composition et destiné à guider les mains de l’artiste jusque dans les plus menus détails. Un peintre en faisait un petit patron sur papier ; une couturière assemblait de grands draps de lit, sur lesquels les enlumineurs exécutaient les patrons. Puis, venait le travail de haute lisse, après quoi la tapissière doublait la tapisserie de grosse toile et la garnissait de cordes. Le moine est toujours auprès des artistes ; les dîners qu’on lui sert sont passés en compte ; on n’oublie même pas ce qui est dû « pour avoir beu avec ledit frère », en devisant de la vie du saint qu’on voulait représenter[1]. »

De cette littérature nouvelle, deux ouvrages méritent de nous occuper un instant. Tous deux ont pour auteurs des dominicains. Tous deux sont du xiiie ou du xive siècle. Leur grande influence artistique ne date que de l’imprimerie ; mais c’est bien au moment de leur composition qu’il convient d’en parler. Ils nous feront comprendre la transformation que j’essaie de décrire.

Le premier de ces ouvrages, la Bible moralisée ou allégorisée, est un ouvrage de luxe, et même de grand luxe, qui ne pouvait s’adresser qu’aux princes de l’Église ou du monde. Dans les exemplaires complets, il ne comprend pas moins de cinq mille peintures[2]. Chaque verset

  1. Renan, Hist. Litt. de la France, t. XXIV, p. 735. Cf. Guignard, Mémoires des cartons de tapisseries de la collégiale de Troyes, Troyes, 1851 ; Guiffrey, Hist. de l’Art publiée par M. A. Michel, t. III, p. 372.
  2. L’exemplaire type, qui est de la fin du xiiie siècle, consiste en quatre volumes in-folio, dont le premier est à Paris, le second à Oxford, les deux derniers à Londres. Cf. Léopold Delisle, Hist. Litt. de la France, t. XXXI, p. 216 ; Haseloff, dans l’Histoire de l’art de M. André Michel, t. II, p. 336.

    Les plus beaux manuscrits sont de l’extrême fin du xive siècle. Dans l’admirable Bible (B. N. franç. 166), il y a une partie exécutée par des artistes de l’atelier des Limbourg, et probablement par eux-mêmes, et qui est une merveille ; chaque vignette est une « scène de genre » d’une grâce mondaine, aimable, voluptueuse, dans l’esprit délicat de la première Renaissance, du Paris