Page:Gillet - Histoire artistique des ordres mendiants.djvu/22

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subir une régression irréparable : toute l’avance acquise était anéantie ; l’histoire était à recommencer.

Les moines furent vraiment alors le sel de la terre, l’élite qui travaille et mérite pour l’espèce. C’est leur faire tort que de les réduire au rôle de scribes ou de copistes, de bibliothécaires de la chrétienté. Ce ne sont pas seulement des livres, ce sont les habitudes et les semences de la culture qui nous furent transmises par les religieux. Grâce à eux, les traditions ne devinrent pas lettre morte. Les fonctions libérales, les applications de l’industrie ne cessèrent pas d’être exercées. Partout où il y eut des moines, il y eut prescription contre la barbarie. Les arts furent pratiqués. Des constructions s’élevèrent. La vie intelligente ne souffrit pas d’interruption.

Toutefois, quelle qu’ait pu être l’ampleur de quelques individus, les grandes créations monastiques frappent par leur caractère impersonnel et collectif. Elles respirent en quelque sorte l’institution sociale. Ce sont essentiellement des styles d’architecture, des « ordres », comme les appelle excellemment la langue latine : et l’expression semble inventée pour les créations de l’Église régulière. Quel ne fut pas le rôle de Cîteaux dans la diffusion de l’art roman ou ogival ! On se rappelle la belle image du chroniqueur Raoul Glaber. Après avoir dépeint la terreur de l’an mil, il exprime l’espoir renaissant, le retour à la confiance. « La terre, écrit-il, revêtit une robe nuptiale, une parure de blanches églises ». Eh bien ! cette robe de fiançailles, cette candeur des jeunes cathédrales, c’est le présent que firent au monde les moines de Saint-Bernard. Dans toute l’Europe, jusqu’en Orient, à Rhodes ou à Chypre, on suit encore les traces de cette croisade monumentale.

De ce monopole religieux dérivent deux caractères de