Page:Gillet - Histoire artistique des ordres mendiants.djvu/277

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Plus tard, à la fin du xvie siècle, le sujet se transforme en un symbole eucharistique. On se souvient que le Christ est la vigne de Chanaan, et on étend la grappe mystérieuse sous la vis du pressoir. Torcular calcavi solus. Autour de lui, le sang exprimé est mis en chais par des vignerons qui sont des rois, des princes et des ecclésiastiques. C’est ce que montre un vitrail du cloître de Saint-Etienne-du-Mont[1]. Rien de plus clair que ces vendanges : contre les protestants, elles affirment l’Église et la présence réelle. Mais le tableau est disparate ; il est savant et puéril, pédantesque et hybride ; l’allégorie sent d’une lieue son docteur de Sorbonne. D’où vient que cette dévotion cruelle, cette sauvage ivresse du Sang, n’ait inspiré, à part de fins Christs vénitiens et le puissant retable d’Oporto[2], que des images fades, inutiles, ni franchement sensuelles, ni franchement idéalistes ? Faut-il croire qu’il était trop tard, et que le génie chrétien avait perdu sa naïveté ? Ou ne serait-ce pas que le sujet a manqué d’un artiste de grande imagination ? Et

    Benivieni in defensione et probatione… di frate Hieronymo da Ferrara, Florence, 1496. Cette composition magnifique est reproduite dans G. Gruyer, Les illustrations de Savonarole, 1879, p, 126-134. La croix, qui barre toute la page, est plantée en pleine terre au centre du paysage ; des flots de sang ruissellent sur le sol et le lavent ; un peuple s’abreuve ou se rafraîchit le long de ces torrents. Plus de vasques, plus de complications puériles de symbolisme ; le sang de la croix inonde la terre. L’idée éclate directement dans toute sa grandeur. La supériorité du goût florentin se montre dans la tenue et la fierté d’une telle page.

  1. Sur le « pressoir mystique » ; cf. Mâle, p. 111 et suiv. — Le sujet fut traité plusieurs fois à Paris : on le voyait à l’hôpital Saint-Gervais, à la chapelle de Saint-Joseph et de l’Assomption, à Saint-Sauveur et à Saint-Jacques-de-la-Boucherie. Cf. Sauval, Antiquités, t. II, supplément, p. 32-33. (Notes sur la peinture et les verrières gothiques, à la suite des Amours des rois de France.)
  2. Cf. Paccully, Gaz. des Beaux-Arts, 1897, p. 196 et suiv. Ce beau tableau paraît d’origine flamande. M. Lafond, Revue de l’Art, avril 1908, l’attribue à un maître portugais. — On sait que le Portugal est voué au Saint Sang. Il porte les cinq plaies dans ses armes. Barbier de Montault, Œuvres, t. VII, p. 384. En 1588, la stigmatisée dominicaine, sœur Marie de la Visitation, apparut à tous comme une vivante image de la patrie. Mortier, Hist. des Maîtres Généraux, t. V, p. 647.