Page:Gillet - Histoire artistique des ordres mendiants.djvu/294

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de la Vierge commencent dans sainte Anne[1]. Celle-ci se montre environnée de tous les symboles de sa fille : tour d’ivoire, jardin secret, étoile de la mer ; ou bien, on voit sainte Anne qui porte enchâssée dans son sein, comme dans un œuf ou un reliquaire de cristal, la Vierge assise, portant elle-même dans une auréole plus petite le divin fruit de ses entrailles. L’œil plonge avec étonnement dans ces ventres sacrés, ouverts comme des tabernacles, et entourés de flammes. — Combien plus délicate l’incomparable merveille, la Sainte Anne de Léonard ! La vie semble s’écouler de la mère à la fille et de celle-ci à l’Enfant, comme une eau pure descend du flanc d’une colline.

Ainsi le moyen âge avait achevé sa tâche. Il avait, par mille ans de songes, façonné le couple idéal, sa statue de l’Adam et de l’Ève nouveaux. Sous sa forme souffrante et sous sa forme glorieuse, sous son aspect sanglant et son aspect limpide, il avait exprimé tout son rêve d’amour. Il avait exhalé le meilleur de son cœur. Étranges nouveautés ! On n’allait pas tarder à y mettre le holà ; Luther allait rappeler l’Église à la lettre de l’Évangile, — Il y a là un grave problème, que je pose ici en terminant. Les uns considèrent la Bible comme un texte arrêté une fois pour toutes, comme un livre déjà lu, où rien ne reste à découvrir. Pour les autres, le livre éternel demeure toujours ouvert par son divin auteur ; sa main n’y ajoute rien, mais les lectures successives l’approfondissent d’âge en âge : chaque génération tourne une page et déchiffre un mot. Ils croient à une sorte de révélation permanente, à la présence perpétuelle du maître intérieur. Entre ces deux principes, le conflit ne devait pas tarder à éclater. Où était le christianisme étroit et régressif ? Où étaient la vie et le progrès ? C’est ce que je vous laisse à décider.

  1. Simon Vostre, Heures à l’usage d’Angers, 1510 ; vitrail de la Ferté Milon. Cf. Maxe-Werly, loc. cit., p. 20.