Page:Gillet - Histoire artistique des ordres mendiants.djvu/307

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aucune des fleurs qui étoilent leurs prairies, et dont ils portent des couronnes sur leurs cheveux de chérubins ; il n’a jamais rien peint avec tant de plaisir ; on dirait qu’il les voit, qu’il est de leur société : et l’on ne s’est pas trompé en lui donnant leur nom[1].

  1. À propos d’un détail charmant des Paradis d’Angelico, — les frères qui se retrouvent au ciel et qui s’embrassent, — on a rappelé le Paradis de la chapelle des Espagnols, dont la porte est ouverte par un dominicain. Cette réminiscence me paraît évidente. On a cité encore (cf. Pératé, dans Hist. de l’Art de M. André Michel, t. III, p. 606) l’exquise chanson de Jacopone, Una ruota si fa in cielo : « Une ronde se fait au ciel — une ronde de tous les saints, — dans le jardin de l’amour divin, — le jardin qu’enflamme l’amour.

    « Dans cette ronde entrent les Saints — et tous les Anges, tous, tous, tous, et ils vont au-devant de l’Époux, — et tous ils dansent par amour.

    « Ils portent des robes de mille couleurs, — des blanches, des roses, des bigarrées, — des chapeaux de fleurs sur la tête, — et l’on dirait des amoureux »

    Mais Angelico ne s’est-il pas souvenu plus encore de cette « prose » admirable, de cette berceuse touchante que murmurait au xiiie siècle, au chevet du frère agonisant, le frère qui l’endormait doucement dans la mort ?

    O dulcis Frater, si recedis,
    Cor tuum non doleat,
    Sed quod placere Deo credis,
    Hoc et tibi placeat…
    Fratres cuncti qui sunt juncti
    Beato Dominico,
    Cum videbunt te, gaudebunt
    Et occurrent illico…
    Tunc tuas terget lacrymas
    Benigna Dei dextera,
    Et inter sanctas animas
    Loca dabit florigera,
    Ubi vernos et aeternos
    Flores admiraberis,
    Ubi sine quovis fine
    Félix spatiaberis…
    (Mortier, Hist. des Maîtres Généraux, t. I, p. 607). Oui, ces vieux cloîtres, ces chapelles, ces dortoirs, ces infirmeries, c’était déjà le ciel sur la terre. Angelico n’a fait que rendre ce qui était la matière et la substance de sa vie. Peindre le cierge pascal, l’armoire de la sacristie où se conservaient les vases sacrés, c’était, pour cette âme candide, le prélude, les premières minutes du bonheur éternel. C’est sans étonnement qu’on voit, au couvent de Saint-Marc, au-dessus de la porte de la maison des hôtes, la divine peinture des Disciples d’Emmaüs : le Christ en voyageur, avec son chapeau de pèlerin et sa pelisse de mouton, est reçu amoureusement par deux frères. Dans un tel lieu, une telle rencontre est toujours attendue. Nulle surprise ne parait dans cette douce reconnaissance. Qui sait si le fait ne s’était pas vu, et si le divin revenant ne s’était pas présenté réellement un soir à la porte de l’hôtellerie ?