Page:Gillet - Histoire artistique des ordres mendiants.djvu/314

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ou que le dernier possédait à fond la grammaire grecque et pouvait expliquer les arcanes de Platon. Pendant deux siècles, ce fut là une sorte de délire : depuis Pétrarque, qu’on trouva mort sur un texte d’Homère qu’il ne savait pas lire, jusqu’à Michel-Ange, demi-aveugle, palpant de ses vieux doigts le torse du Vatican qu’il ne pouvait plus voir, l’intelligence humaine demeura dans l’enchantement de cette beauté entrevue, qui semblait revenir au monde.

Sans doute, le moyen âge n’a jamais ignoré l’antiquité. Telles statues du portail de Reims, la vasque de l’Ecole des Beaux-Arts[1], tels bustes de Naples ou de Capoue, l’œuvre entière de Nicolas de Pise[2], sont des imitations évidentes de modèles ou de fragments antiques. Mais personne encore n’avait conçu ces fragments comme les débris d’un tout ; personne, devant ces ruines, n’avait su deviner les linéaments d’un système, une formule complète, une philosophie de la nature et de la vie[3]. Ce fut l’œuvre des humanistes à l’aurore du xve siècle. En Italie surtout, ces choses devaient être accueillies avec transport. Tout retour à l’antiquité y revêt un caractère national. C’est retrouver la loi, l’ordre même de la race, l’oracle permanent qui émane du sol. « Cette terre, écrit Machiavel, est une terre de résurrections[4]. » On avait le plaisir de chasser les fan-

  1. Courajod, Alexandre Lenoir et le musée des monuments français, t. I, 1878, p. 6, et t. II, 1886, p. 50.
  2. Bertaux, L’Art dans l’Italie méridionale, 1903 ; — Venturi, Storia dell’ arte italiana, t. IV.
  3. Sur la place des auteurs anciens dans les études au xiiie siècle, cf. Lecoy de la Marche, La chaire française au moyen âge, 2e édit., pp. 118, 162, 175, 193 et Anecdotes d’Etienne de Bourbon, préface. — Le mythe de Physis dans le Roman de la Rose montre que Jean de Meung aurait été capable de faire cette synthèse, mais il lui manquait (comme plus tard à Rabelais) le sens de la beauté antique et la connaissance des monuments.
  4. Questa provincia pare nata per risuscitare le cose morte. Arte della guerra, l. VII, Opere, Milan, 1805, t. X, p. 294.