Page:Gillet - Histoire artistique des ordres mendiants.djvu/317

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Qui était cette Polia que l’auteur prétend avoir si bien aimée ? Est-ce une personne réelle ? Un personnage fictif ? Cela n’importe guère : l’amour n’occupe qu’une place infime dans ce roman d’amour ; la première, sans comparaison, revient à l’archéologie. C’est contre cette rivale que devrait se livrer le combat dont parle le titre, mais on doit à la vérité de dire qu’il n’y a même pas de combat. Polia se fait le cicérone bénévole d’une sorte de voyage à travers l’ancien monde. Elle mène son ami comme dans un champ de fouilles. C’est une exploration, une investigation semi-allégorique, sur le thème bien connu du Roman de la Rose et de la Divine Comédie. Mais au lieu d’une recherche idéale et théologique, l’enquête a pour objet la connaissance complète et la résurrection de l’antiquité païenne.

On lit peu le Songe de Poliphile ; on se contente de le feuilleter comme un livre d’images : et pourtant les plus belles ne sont pas celles du graveur. L’honnête dominicain est un étonnant visionnaire, un cerveau d’une imagination merveilleusement plastique. Son livre est une succession de tableaux et de bas-reliefs d’une vie inoubliable, un répertoire de formes et de beaux motifs artistiques. Figurez-vous un Pausanias italien du quattrocento, un Voyage d’Anacharsis écrit par quelque génial artiste, par un pèlerin passionné, érudit comme un Scaliger, et poète en prose comme Arioste et Pulci le sont en vers : vous aurez une idée du Songe de Poliphile[1].

    der Hypnerotomachia Poliphili, Vienne, 1872 ; Benj. Fillon, Quelques mots sur le songe de Poliphile, 1879 ; Ephrussi, Etude sur le songe de Poliphile, 1888 ; J. A. Symonds, Renaissance in Italy, Londres, 1907, t. IV, p. 190 et suiv.

  1. On a fort critiqué la langue de Poliphile ; on l’a comparée au français de l’écolier Limousin ou du seigneur Philausone (La Monnoye, Menagiana, 1715, t. IV, p. 69-86). On y trouve, dit-on, du grec, de l’arabe, de l’hébreu ; ce qui s’explique dans un livre qui est, en quelques parties, un ouvrage de philologie. La langue, il est vrai, est souvent surchargée et prolixe à l’excès. Mais ce